Mère corbeau. Rabenmutter, en allemand. C'est «un terme qui est encore utilisé, en Allemagne, pour parler des mères qui font le choix de travailler», dit Sébastien Arbour, un Québécois qui s'y est expatrié par amour. Ces mères sont jugées indignes, parce qu'elles poussent trop tôt leurs oisillons hors du nid.

Au pays de la femme la plus puissante du monde, selon Forbes - soit la chancelière Angela Merkel -, «on a plus de difficultés à concilier travail et enfants qu'au Québec», estime Jennifer Hille, une jeune mère d'origine allemande vivant à Montréal.

Seul un tiers des femmes avec enfant de moins de 3 ans y ont un travail rémunéré. «En Allemagne, la norme veut que les mères quittent le marché du travail lorsque leurs enfants sont jeunes», confirme un rapport du Boston College Center for Work & Family.

Les choses commencent toutefois à évoluer. «Pour ma génération, c'est courant de recommencer à travailler quand notre bébé a 1 an, relativise Rabea Arbour, épouse de Sébastien et mère de deux bambins. Mais on reprend à temps partiel.»

DROIT DE TRAVAILLER À TEMPS PARTIEL

En 2012, 71% des mères ayant un enfant de moins de 18 ans avaient un emploi. C'est 7% de plus qu'en 2006. Près de la moitié des femmes (avec ou sans enfant) ne travaillaient toutefois pas à temps complet. En Allemagne, tout employé à temps plein, travaillant depuis au moins six mois pour un employeur, a le droit de réclamer de passer au temps partiel. Son patron doit accepter, ou documenter les raisons qui le forcent à refuser. De quoi rendre jaloux bien des Québécois(es) surmenés.

À leur décharge, il faut dire que seuls «32,3% des écoliers allemands sont inscrits dans une école ouverte toute la journée», précise Torsten Heil, attaché de presse du Conseil des ministres de l'Éducation et des Affaires culturelles de l'Allemagne. Les autres finissent la classe vers midi, au plus tard à 13h30. Puis, ils rentrent manger un bon repas chaud préparé par maman, voire grand-maman. En Allemagne, l'enfance est sacrée.

Mais chez les 25 à 34 ans, plus de femmes que d'hommes (27% contre 25%) sont désormais diplômées de l'enseignement supérieur, rapporte l'OCDE. Une fois mères, si ces femmes choisissent le temps partiel, « leur carrière se retrouvera dans un cul-de-sac, indique Mme Hille. C'est la raison pour laquelle beaucoup de femmes attendent la quarantaine pour avoir des enfants, ou décident consciemment de ne pas en avoir du tout ». Une Allemande diplômée de l'enseignement supérieur sur quatre n'a pas d'enfant.

Près de 55 % des Allemands jugent que leur profession ne peut pas se concilier avec l'éducation d'enfants, selon un sondage mené auprès de 2000 personnes par la Fondation pour les questions d'avenir (Stiftung für Zukunftsfragen). Et 67 % estiment carrément que « les enfants coûtent trop d'argent »...

BAISSE DE LA POPULATION

En conséquence, le pays le plus riche d'Europe est aux prises avec la Schrumpfnation Deutschland. Cela n'a rien à voir avec les Schtroumpfs : c'est le rétrécissement de la nation allemande. La population chutera de 1,3 million de personnes entre 2005 et 2015, selon les prévisions de l'ONU. Cela force les autorités à tenter de favoriser la natalité et le retour à temps complet des femmes sur le marché du travail.

Déjà, de jeunes mères revendiquent leur statut de Rabenmutter en portant, avec ironie, des t-shirts ornés d'un corbeau. Concilier travail et famille à Berlin - où il est permis de monter une poussette par la porte latérale des autobus, ce qui est interdit à Montréal - est plus envisageable qu'avant.

«J'ai l'impression que ce qui freine plusieurs personnes, c'est la grande importance qu'on donne aux droits des enfants, observe Ruth Brand-Schock, une mère berlinoise. Vouloir être un parent parfait, c'est un truc très allemand. Si on n'arrive pas à allaiter pendant un an, on nous dit quasiment d'aller en psychothérapie! Tandis que les Françaises reviennent travailler à temps plein, peu de temps après avoir eu leurs bébés. Je ne sais pas comment elles font.»