Lové dans le ventre de sa mère, le foetus tient sans le savoir le rôle principal d'une téléréalité fortement émotive. Dans leur hâte, les parents font de l'échographie de grossesse un événement festif et familial. Aux traditionnels «showers» s'ajoutent les «foetus parties». Au Québec, l'«échographie souvenir» à la cote. Des experts sonnent l'alarme.

Enceinte de son premier enfant, Andréanne s'est laissé tenter par «l'échographie souvenir» en trois dimensions, offerte chez UCBaby. C'était il y a deux ans. «On l'a fait par attrait de la nouveauté. On trouvait que c'était gadget, mais un beau gadget.» Elle avait d'abord passé l'échographie prévue au suivi médical lors de la 20e semaine de grossesse. «On savait que le bébé était en santé.»

Grâce à la diffusion de la séance en direct, via le web, les parents d'Andréanne, ses beaux-parents, ses oncles et ses tantes ont pu faire la connaissance du futur nouveau-né. Ils habitent tous à des centaines de kilomètres. «C'était une façon de les inclure dans le suivi de la grossesse, puisque nous habitons loin. Mon beau-frère est même allé chercher ses enfants à l'école pour qu'ils assistent à l'échographie. C'était excitant de présenter notre bébé à toute la famille.»

Aujourd'hui, de nombreux parents s'offrent des «échographies souvenirs» en compagnie de proches, directement sur place. On invite la marraine, le parrain, la meilleure amie, parents, enfants et collègues. Dans certaines cliniques privées, des salles sont prévues pour accueillir les groupes. «On a une grande salle et même un espace avec des jouets où les enfants peuvent jouer», indique-t-on chez Expertise Échos, situé sur la Rive-Sud.

Chez Peek A Boo à Montréal, on vous encourage à inviter «votre famille et vos amis pour partager ce moment si précieux avec vous. Notre chambre peut contenir huit personnes, mais vous pouvez en amener plus que huit s'ils veulent se tenir debout et regarder». Chez UCBaby, on dit accepter jusqu'à six personnes à la fois. «Les enfants de tous âges aussi», souligne-t-on au téléphone.

Un spectacle

L'échographie prénatale n'est plus considérée comme un acte médical, mais comme un spectacle. Les cliniques privées rivalisent à coups de rabais et de cadeaux pour attirer la clientèle. On offre une réduction tarifaire pour la deuxième et la troisième échographie pour la même grossesse. Un forfait complet avec DVD et impression de deux photos couleur tourne autour de 175 dollars. «Pour l'ourson en peluche avec enregistrement des battements de coeur du bébé, il faut compter 25 dollars de plus», dit-on chez UCBaby de Montréal. UCBaby compte 19 cliniques au Canada et accueille 20 000 femmes chaque année.

Aucune de ces cliniques n'exige d'ordonnance médicale. Certaines offrent néanmoins la possibilité d'envoyer un rapport au médecin traitant. Pour éviter les mauvaises surprises, certaines cliniques demandent aux clientes d'avoir préalablement passé une échographie de routine (celle prévue vers la 20e semaine).

D'autres cliniques privées font uniquement des échographies à des fins médicales effectuées par des médecins (une ordonnance est obligatoire), mais offrent tout de même le visionnement en 3D. On y accueille souvent les proches. Enceinte de son troisième enfant, Julie a opté pour le visionnement 3D lors de son échographie de routine. «C'était nouveau. Mes filles y ont assisté. C'était l'occasion pour elles de se préparer à la venue de leur petit frère, de voir une image concrète du bébé que je portais dans mon ventre.»

Scénario catastrophe

Et si l'échographie tournait mal, devant famille et amis? Dans un billet publié il y a deux semaines sur le site BBC News, la directrice générale du Collège royal des sages-femmes en Angleterre, Cathy Warwick, s'élève contre les «foetus parties» parce qu'on perd de vue que l'échographie est un acte médical. Selon elle, les femmes enceintes sont aujourd'hui plus âgées et ont aussi plus de risques de complications. Les «foetus parties» augmentent les attentes des parents envers leur bébé à naître, ils créent une pression inutile et peuvent causer une déception immense, advenant un problème, écrit Mme Warwick.

À la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC), on s'inquiète des possibles effets des ultrasons sur le foetus. Dans ses déclarations de principes publiées en 2007, la SOGC «s'oppose fortement à l'utilisation non médicale de l'échographie afin de visualiser ou de photographier le foetus, ou encore aux seules fins de la détermination du sexe lorsqu'aucune indication médicale ne le cautionne. Bien qu'aucune anomalie foetale n'ait été associée à l'échographie diagnostique, celle-ci expose néanmoins le foetus à de l'énergie ciblée.»

La SOGC recommande même l'interdiction des échographies dans un but non médical. «Dans le cadre d'une utilisation non médicale commerciale de l'échographie foetale, le maintien de mesures de protection techniques, l'expertise de l'opérateur et les mesures régissant la compétence ne sont plus d'aucune façon assurés. Il est possible que l'exposition du foetus aux ondes échographiques ne fasse pas l'objet d'un suivi approprié. Les examens peuvent être de durée prolongée et faire appel à l'échographie 3D, au Doppler et au Doppler codage couleur, ce qui accroît l'exposition du foetus aux ondes échographiques. Dans le cadre de l'échographie non médicale, il n'existe aucune obligation de signaler des préoccupations quant au foetus. Et lorsque des anomalies foetales sont présentes, mais ne sont pas décelées, les parents s'en trouvent faussement rassurés. Qui plus est, il est alors possible que les opérateurs tentent d'exercer des niveaux dangereux de pression abdominale et de manoeuvres foetales en vue d'obtenir un produit commercial adéquat.»

Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec n'a pas juridiction sur les échographies à des fins non médicales. «Au Ministère, on recommande de passer une échographie par grossesse, sauf si le suivi médical en exige davantage, indique la porte-parole Nathalie Lévesque. Un comité de travail se penche actuellement sur l'encadrement des échographies médicales.»

Le garçon d'Andréanne est aujourd'hui âgé de 11 mois. Elle est enceinte de 20 semaines. «Cette fois, je me contenterai de passer les échographies prévues au suivi médical. C'est un luxe qu'on s'est payé pour notre premier bébé. C'était une belle expérience, mais pas quelque chose à vivre à tout prix.»