Pédiatre social

Le docteur Gilles Julien est président et chef de la direction de la Fondation du Dr Julien qui chapeaute deux centres piliers de pédiatrie sociale. Il travaille depuis de nombreuses années à tenter d'offrir un avenir meilleur aux enfants défavorisés des quartiers Hochelaga-Maisonneuve et Côte-des-Neiges. Des parents poqués, isolés, il en voit tous les jours. Il a une vision particulière, éclairée, de la famille québécoise.

«Chez les jeunes de classe moyenne, il y a une tendance à se recentrer sur les enfants. Ils veulent 2, 3, 4 enfants, un des deux parents va même laisser de côté sa carrière. C'est impressionnant de voir ce retour du balancier. En milieu vulnérable, c'est plus complexe. La famille n'y arrive pas et ça ne s'améliore pas, il y a un état chronique de misère de génération en génération. Les écarts sont toujours plus importants. Les fins de mois sont de plus en plus difficiles. Moins tu as d'outils, plus tu as de colère. C'est une catastrophe et c'est la raison d'être de notre organisation.»

Accorde-t-on assez d'importance à la famille? «Oui et non. La société québécoise a investi dans la famille (on pense aux cpe et certaines allocations fiscales), mais la famille démunie est délaissée et n'a pas accès à ces mesures. Dans les milieux appauvris, il y a beaucoup de délation, pas toujours justifiée. La famille se sent stressée, épiée, mal traitée, exclue, disqualifiée. Personne ne pourrait y arriver dans de telles conditions.»

Qu'est ce que le rôle de parent? «Aimer son enfant, créer un environnement sécuritaire, stimuler son développement et le mener sur une voie de succès et de bonheur. Tous les parents veulent ça. Ça se gâte quand les parents sont dépourvus et isolés. Seul, on ne peut y arriver. Le répit est essentiel, mais certains parents ne peuvent même pas se payer une gardienne!

«Avant, les adultes prenaient soin des enfants. Ils jouaient au hockey avec nous autres. Aujourd'hui, les adultes se sont retirés au profit de l'État qui a lui-même favorisé ça. La famille élargie était là, les parents pouvaient reprendre leur souffle. Je souhaite qu'il y ait une plus grande solidarité dans les communautés entre les familles, les voisins, à l'école, etc. Avant de dénoncer quelqu'un, on devrait s'en mêler et tenter de faire notre part. Vous êtes enseignant et un petit voisin en arrache à l'école, pourquoi ne pas l'aider? On doit oser.»

À travers sa lutte auprès des enfants de milieux défavorisés, il a élevé quatre enfants - ils sont âgés de 22 à 40 ans - et compte maintenant cinq petits-enfants. Il s'est assuré de leur transmettre la conscience des inégalités. « Je l'ai amenés partout, en Afrique et ailleurs, pour qu'ils puissent rester alertes, pas figés. Ils ont voyagé beaucoup, ils ont chacun trouvé leur voie. Ils sont capables de changement quand ils ne se sentent pas bien. Je souhaite qu'ils ne se vautrent jamais dans une fausse sécurité, qu'ils bougent.»