Non, mais qui l'eût cru? Qu'un blogue de maman, relatant le quotidien somme toute banal d'une mère au foyer de la campagne québécoise, aurait un retentissement jusqu'en Ukraine, en Allemagne, même en Afrique du Sud? Le succès est tel que la principale intéressée s'avoue complètement dépassée. Mais qu'est-ce qui unit ainsi toutes les mères de la planète? Réflexions spontanées, entre deux brassées, un café, et un dîner à préparer...

«Mon blogue (Pépine sur un fil) existe parce que j'avais envie de partager un peu ma routine, ma vie entre quatre murs, avec mes amis. Mais quand j'ai réalisé que j'étais lue dans une quarantaine de pays, j'ai été dépassée rapidement», avoue tout candidement Véronique Fortin, blogueuse et désormais auteure du deuxième tome du Journal (de plus en plus) irrévérencieux d'une mère (presque) normale, aux éditions de la Bagnole, en librairie ces jours-ci.

«La première fois que quelqu'un m'a écrit de l'extérieur du Canada, je n'y croyais pas! Je ne connaissais même pas ce pays!», poursuit-elle en riant au bout du fil. Et que dire de cette mère venue la rencontrer les yeux pleins d'eau, lors d'un salon du livre. «Elle est venue me voir pour me dire que je lui avais tenu la main pendant son congé de maternité!» Récemment, Véronique Fortin a même reçu un témoignage d'Afrique du Sud. «Cette mère est en Afrique, elle me lit, et elle se reconnaît!», s'étonne l'auteure, qui a aussi son lot de lecteurs «réguliers» qui lui écrivent toutes les semaines et lui envoient même leurs photos de famille. «Ça me dépasse un peu. C'est vraiment gratifiant, mais j'ignore pourquoi ce que j'écris vient les chercher tant que ça.»

Il faut dire que la jeune mère de 36 ans, dont les deux «terroristes», Gabrielle et Lou, ont maintenant 5 et 7 ans, raconte avec une plume épurée, pleine de sincérité, sa vie de famille: son choix de rester à la maison, ses doutes, ses faiblesses aussi, sans oublier ses victoires. Tout y est, dans l'ordre et le désordre: son abnégation, son besoin de répit, les punitions, la culpabilité, et puis les moments de grandes émotions, aussi. Un exemple? «Vous faites aussi des crêpes, pour vous racheter?», demande-t-elle en se consumant de regrets, après avoir sévi un peu beaucoup trop sévèrement...

«Je ne cherche pas le punch final à tout prix. Mes journées ne sont pas toujours croustillantes. Il y a un côté vrai qui touche beaucoup de mamans, je crois.» D'où l'écho, avance-t-elle.

«Pour les gens qui me lisent, j'existe «autrement». Souvent, il leur est difficile de partager leurs doutes, leurs questionnements, parce que cela ferait peut-être trop peur à leurs proches. C'est beaucoup plus facile d'échanger avec une étrangère, c'est moins impliquant, il n'y a pas de risque de décevoir.»

Et Dieu sait si les mères ont peur de décevoir. Véronique Fortin en sait quelque chose. Dans un chapitre très touchant, elle raconte son propre post-partum: «foudroyant». Avant de craquer, Véronique Fortin, elle aussi, a tout fait pour préserver les apparences. «Si on me venait en aide, j'avais l'impression que cela voulait dire que j'étais vraiment inapte. Je préférais me taire, parce que cela voulait dire que j'avais réussi. Je crois que les femmes qui m'écrivent ont l'impression que si elles s'ouvraient à d'autres, elles s'accuseraient aussi de ne pas réussir [...] Pour paraître au-dessus de ses affaires, on est prêtes à accumuler beaucoup. C'est profondément triste», laisse-t-elle tomber.

Les mots des maux

Vrai, les ouvrages et autres blogues sur l'envers de la maternité occupent des sections entières en librairie ces jours-ci. Et ce, depuis plusieurs années déjà. De Mommy Myth à Bitch in the House, en passant par les Chroniques d'une mère indigne, toutes les mères en mal de compagnie ont de quoi s'alimenter. «On ne peut pas se lasser d'être rassurées dans la vie», croit d'ailleurs Véronique Fortin. Mais est-ce suffisant? «On parle de l'envers de la maternité, mais dans la pratique, c'est complètement autre chose, poursuit l'auteure. Les femmes veulent être performantes. Si elles choisissent d'être à la maison et qu'en plus elles se plantent, ça va vraiment mal. Puisque les gens s'imaginent qu'elles n'ont vraiment que ça à faire...»

L'auteure interroge à ce sujet souvent sa grand-mère: non, mais comment vous faisiez, avec tous vos enfants? «On le faisait parce qu'on n'avait pas le choix», point. Ironiquement, la même grand-mère trouve les textes de sa petite-fille drôlement ennuyants! «Elle est passée à autre chose. Elle a pris suffisamment de recul. Elle a sûrement raison, ça ne vaut peut-être pas le coup de s'en faire tout un plat! On s'en fait tellement trop, on réfléchit trop, on en sait trop. S'il ne pouvait y avoir que notre instinct...»

Véronique Fortin, Journal (de plus en plus) irrévérencieux d'une mère (presque) normale, Les éditions de la bagnole, 2011.