Sexe: féminin. Poids: 5 kilos. Caractéristiques: garde-robe démesurée, cheveux toujours impeccablement coiffés et yeux continuellement clos. Abby ressemble à s'y méprendre à un bébé, mais c'est une poupée, qu'Ève a «adoptée» après la mort de sa fille.

«Elle me rappelle ma fille quand elle était enfant», confie sans ambages Ève Hasty, une Américaine de 57 ans qui a acheté sa «reborn baby» (littéralement «bébé qui renaît») en Grande-Bretagne pour 300 dollars (210 euros).

«Elle m'apporte de la sérénité quand je la prends dans les bras, quand je change ses habits», ajoute cette retraitée, qui possède pour Abby une garde-robe digne de triplés, notamment une paire de baskets Nike taille 0. «Quand ma fille est née, je n'avais pas beaucoup d'argent, cette fois-ci, j'ai pu me lâcher. C'était thérapeutique», raconte-t-elle.

Le cas d'Ève n'est pas unique. Nikki Hunn, une Britannique de 35 ans, a fabriqué une demi-douzaine de «reborn babies», dont Abby, pour des mamans qui avaient perdu leur enfant. Elle a notamment confectionné le sosie d'un bébé à partir de la photo d'un enfant décédé.

La technique, en vogue depuis quelques années notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni, consiste à assembler des membres en plastique à la texture proche de la chair humaine et une tête au visage plus ou moins expressif, le tout disponible dans le commerce.

Il faut ensuite remplir les membres de perles, en fonction du poids final recherché. Dernière étape, la plus longue: peindre ce petit corps immobile pour traduire la finesse de la peau, faire apparaître des veines, dessiner des ongles, des cils et peut-être un peu de salive à la commissure des lèvres.

Touche finale, mais pas indispensable: implanter des cheveux en mohair, au moyen d'une aiguille. Le résultat est d'un réalisme très troublant.

«J'ai des amis qui m'ont dit: «Oh mon dieu, elle semble tellement vraie, ça me fout les jetons !»», se rappelle Ève, dont la fille est décédée à sept ans d'une leucémie. «Je l'ai mal pris, c'est comme si on vous disait que votre enfant file la chair de poule.»

Ève ne sort pas avec Abby, à moins qu'elle ne se rende chez «des gens qui ne l'ont pas encore vue». «La majorité des personnes laissent leur «reborn» dans un berceau ou une poussette» à la maison, explique Nikki.

Mais d'autres les «amènent en vacances, là où personne ne les connaît», témoigne-t-elle, en marge d'une foire aux «reborn babies» à Brentwood, dans la banlieue de Londres.

Nikki précise aussi qu'au-delà des quelques mères qui essaient de faire le deuil d'un enfant, l'essentiel de ses clientes sont des passionnées de poupées. Des psychologues britanniques interrogées par l'AFP sont partagées sur le recours à ces poupons aussi vrais que nature.

Pour Ingrid Collins rattachée au Centre médical de Londres, ce faux bébé «risque de créer plus de problèmes qu'il n'en résout». «Quand vous avez fait le deuil de votre enfant, que faites-vous de la poupée ? Vous l'enterrez ?», s'interroge-t-elle.

«Si des personnes ont beaucoup d'amour à donner et pas de bébé, il y a beaucoup d'êtres humains vivants qui ont besoin d'attention», suggère-t-elle.

Pour Sandra Wheatley, spécialisée dans les questions familiales, un «reborn baby» peut au contraire être «un outil» qui aidera des parents «à faire le deuil de l'enfant décédé». «Ce peut être sain à condition qu'il ne soit pas utilisé trop longtemps», prévient-elle.

Ève en tout cas n'envisage pas de «vivre sans Abby». «J'ai toute ma tête. Je ne pense pas qu'Abby soit vraie», assure cet ancien chauffeur de l'Oklahoma (centre), maman d'un garçon trentenaire et grand-mère d'une fillette de 8 ans.

«Mais Abby n'est pas une poupée non plus, elle est beaucoup plus. Elle est d'une grande aide pour moi. Je sais qu'elle ne sera pas malade et qu'elle ne mourra pas. Je n'ai plus la pression», lâche-t-elle.