Le nombre de demi-frères et soeurs atteint des proportions épidémiques aux États-Unis. Parmi les femmes qui ont plus d'un enfant, 28% ont eu leur progéniture avec plusieurs pères, selon une étude dévoilée au congrès de l'Association américaine pour la population, début avril, à Washington.

«On s'intéresse beaucoup à l'instabilité des familles, mais certaines questions restent insoupçonnées», explique la sociologue Casssandra Dorius, de l'Université du Michigan. «Deux femmes peuvent avoir chacune deux enfants et vécu un divorce. Mais si l'une d'entre elles a eu ses deux enfants avec le même homme, alors que l'autre a eu un enfant avec chacun de ses deux maris, le niveau de stress n'est pas du tout le même. La cellule familiale a des limites confuses et les rôles des pères le sont aussi.»

Les Afro-Américaines sont deux fois plus susceptibles que les Blanches d'avoir une «paternité en série», 59% contre 22%, selon les données de Mme Dorius, qui a étudié les dossiers de 4000 Américaines suivies pendant près de 30 ans. Les femmes ayant des enfants avec plusieurs hommes restaient trois fois plus longtemps dans la pauvreté et travaillaient 12% moins longtemps.

«Les hommes ont tendance à investir davantage de ressources pour les enfants avec qui ils habitent, dit Mme Darius. Comme la garde partagée est plus rare, les enfants d'unions antérieures sont désavantagés. Les grands-parents paternels d'une nouvelle union vont aussi avoir tendance à moins s'investir, parce qu'ils ne savent pas trop quel rôle prendre face au beau-fils ou à la belle-fille de leur fils. Il y a aussi davantage de conflits avec les ex.»

Moins fréquent au Québec

Au Québec, il n'existe pas de données similaires, selon Louis Duchesne, un démographe retraité qui a publié, en 2007, alors qu'il travaillait à l'Institut de la statistique du Québec, l'étude la plus proche de celle de Mme Darius. Il avait retracé 39 000 naissances de deuxième rang - des bébés ayant un grand frère ou une grande soeur mais pas de cadet. De ce nombre, il avait identifié le père du grand frère ou de la grande soeur pour plus de 90% des mères. Dans ce sous-groupe, les deux enfants avaient des pères différents dans moins de 15% des cas.

Le taux de «paternité en série» est donc plus bas au Québec. «Quand je n'avais pas pu identifier le père du premier enfant, il s'agissait souvent d'immigrantes, dit M. Duchesne. En général, elles ont plus souvent leurs enfants avec le même père.»

Ce taux est plus bas même si on le compare à une population comparable, les Américaines blanches. Le faible nombre de naissances de rang supérieur - des troisième ou quatrième enfant, par exemple - ne peut pas - changer beaucoup le taux québécois.

Qu'est-ce qui explique cette différence? Après tout, le Québec est le paradis des unions libres, réputées plus instables. «Je crois qu'une partie de la réponse est que les États-Unis ont une longue tradition de divorce, dit M. Duchesne. Se séparer et refaire sa vie avec quelqu'un d'autre, en se mariant à nouveau, est un choix acceptable depuis plus longtemps qu'au Québec.»

Est-il possible que la faveur du mariage aux États-Unis rende les deuxièmes unions plus rassurantes, donc plus susceptibles de déboucher sur un enfant? «Je ne crois pas», indique Céline Le Bourdais, sociologue à l'Université McGill. «Il est vrai qu'au Québec, les couples mariés ont un indice de fécondité plus élevé. Mais je crois que c'est dû au fait que c'est une population plus traditionnelle, qui met davantage l'accent sur la famille.»