Maintenant que les enfants qui peuvent être adoptés à l'étranger sont plus âgés qu'avant et souvent handicapés, la démarche des couples est plus périlleuse et compliquée que jamais, quand elle ne se conclut pas carrément par une prise en charge à la DPJ. Portrait d'une adoption internationale qui cherche à être éthique, mais dont le portrait n'est plus aussi rose qu'avant.

Ces derniers temps, il y a eu à peine 500 enfants adoptés annuellement par des Québécois à l'étranger, alors qu'il n'était pas rare d'en voir arriver près d'un millier dans les années 90. Qu'est-il arrivé? Le Dr Jean-François Chicoine, qui a le sens de la formule, résume la chose en quelques mots. «De nos jours, il y a suffisamment d'Indiens riches pour prendre en charge les bébés indiens.»

Les bébés très jeunes et en santé, s'entend.

Car depuis que le nombre de pays ayant adhéré à la convention de La Haye s'est multiplié, l'adoption nationale est de plus en plus répandue. En clair: un enfant indien - ou colombien ou russe - qui devient orphelin sera idéalement confié à un membre de sa famille élargie, ou à quelqu'un de son propre pays. Ce n'est qu'en dernier recours qu'il pourra être adopté à l'étranger.

Résultat: les enfants qui peuvent finalement être adoptés par des Québécois (ou des Français, ou des Américains) «sont plus âgés et présentent souvent de légers handicaps», explique Luce de Bellefeuille, directrice générale du Secrétariat québécois à l'adoption internationale.

«Il est important que les gens sachent que l'adoption internationale, ce n'est plus ce que c'était il y a 20 ans, ajoute-t-elle. Au Québec, les enfants adoptés à l'étranger ont maintenant en moyenne un peu plus de 3 ans.»

Rendus à cet âge-là, il est fort possible que les enfants aient été déplacés d'orphelinat en orphelinat, se soient attachés à plusieurs nounous pour comprendre enfin que ce n'est plus la peine d'aimer, et que c'est même dangereux. Quand on leur présente finalement une mère et un père, permanents et aimants, nombreux sont ceux qui n'arrivent tout simplement pas à s'attacher à eux et qui développent des problèmes de comportement souvent incontrôlables.

«Pour la majorité des enfants, être adopté, c'est la meilleure chose qui pouvait leur arriver. Leur malheur, ce n'est pas d'être adoptés, c'est d'avoir été abandonnés», résume la psychologue Diane Quevillon.

Il y a toujours eu de ces enfants qui souffrent de problèmes identitaires, «qui trouvent difficile de ne pas ressembler à leur famille, d'être la seule à avoir les yeux bridés, d'être incapable de parler leur langue d'origine, mais de nos jours, les enfants arrivent souvent avec des problèmes plus profonds», ajoute-t-elle.

Les parents adoptifs sont plus prévenus que jamais que les adoptions peuvent être délicates. N'empêche, ceux qui sont passés par là craignent que cette mise en garde soit insuffisante.

Sylvie raconte qu'en son temps, elle avait été avertie à propos d'éventuels problèmes psychologiques, notamment les problèmes d'attachement. Elle n'a rien voulu entendre. Avec tout l'amour qu'elle avait à donner, elle comptait régler rapidement ce petit problème d'attachement.

Erreur. «Une année, j'ai compté à mon agenda jusqu'à 51 rendez-vous de toutes sortes pour ma fille - le psychologue, le pédiatre, le pédopsychiatre, etc.»

Et ça ne s'est jamais arrangé. Ni les problèmes d'apprentissage, ni les problèmes d'attachement. L'enfant, absolument incapable d'entrer en relation avec les autres, s'est mise à cracher au visage des gens et est devenue de plus en plus intenable avec sa mère. Tout en lui répétant: «Tu sais, je t'aime, maman.»

Au bout du rouleau et après un arrêt de travail, Sylvie a fini par téléphoner à la DPJ, qui a eu tout autant de fil à retordre. «Les intervenantes avaient peur de ma fille», raconte Sylvie.

«On me dirait là, maintenant, que je devrais la reprendre que j'en tremblerais de tous mes membres. En même temps, d'avoir dû appeler la DPJ m'a fait très mal et mon deuil est loin d'être fini.»

Chantale a vécu pareil drame avec son fils né en Europe de l'Est. Comme Sylvie, elle est passée par les pédopsychiatres, les psychologues, même par un généticien. Le diagnostic est longtemps demeuré diffus et pour obtenir des services, elle a fait le parcours du combattant. Dans son cas aussi, les choses ont terriblement dégénéré, et son fils a dû être confié à la DPJ.

Josée, elle, le dit tout de go: avec sa fille, qu'elle a adoptée alors qu'elle avait 2 ans, elle n'a pas eu «une seule seconde de bonheur» tant étaient récurrentes les crises de colère et tant le retard mental était prononcé. Aujourd'hui, sa fille est placée dans un centre d'accueil. «Nous n'avons aucune idée de ce qui va arriver quand elle sera grande.»

Des cas exceptionnels? Ni le Secrétariat à l'adoption internationale ni la DPJ ne tiennent de statistiques sur le sujet.

En France, le pédopsychiatre Pierre Lévy-Soussan croit que 10% à 15% des familles n'arrivent pas à créer de liens avec l'enfant adopté. Les enfants sont alors soit confiés à des services sociaux, soit confiés à des tiers - un pensionnat, par exemple.