Martine remarque que sa fille âgée de neuf ans, Jessica, pose de plus en plus de questions sur l'alimentation et sur le contrôle du poids. Par exemple, lorsque Martine fait une nouvelle recette pour le souper, Jessica lui demande si ce plat est engraissant. L'autre jour, elle n'a pas mangé le fromage que sa mère avait mis dans sa boîte à lunch parce qu'une de ses amies lui a dit que le fromage est engraissant. Martine ne croit pas que sa fille soit anorexique parce qu'autant elle pose parfois des questions sur les calories, autant à d'autres moments elle demande des sous à sa mère pour aller s'acheter des friandises au dépanneur! Par contre, elle réalise que cette attitude chez sa fille est apparue peu après qu'elle eut elle-même suivi un régime parce qu'elle se trouvait grosse. Elle se demande si elle aurait involontairement influencé sa fille.

La situation décrite ci-dessus peut vous sembler extrême, mais croyez-moi... elle n'est pas rare. Au cours de la recherche que j'ai effectuée pour préparer le contenu d'un livre et de conférences sur l'image corporelle, j'ai découvert les statistiques suivantes :

> les fillettes de quatrième année et plus sont plus inquiètes de leur poids que les filles plus jeunes;

> vers la fin de l'école primaire, il n'est pas rare de voir la moitié ou plus des filles qui sont insatisfaites de leur corps;

> entre 40 et 70 % des filles entre 12 et 17 ans sont insatisfaites d'au moins deux parties de leurs corps.

En fait, quand on voit ces statistiques, on peut ne pas les croire. Après tout, ce ne sont que des chiffres. Même moi, à force de les répéter dans mes conférences, je perds un peu de vue la réalité que ces statistiques représentent. Mais quelques expériences personnelles récentes m'ont confirmé que ces chiffres sont probablement justes et alarmants... Entendre quelques fillettes dire qu'elles ont engraissé, qu'elles ne veulent pas de gâteau lors d'une fête pour l'anniversaire de leur amie parce qu'elles veulent surveiller leur poids, c'est pas mal plus impressionnant que de lire quelques chiffres dans un article scientifique.

Le pire dans tout ça, c'est que la majorité de ces fillettes qui se plaignent de leur poids ont en fait un poids santé. Qu'est-ce qui pousse donc les jeunes d'aujourd'hui à être préoccupés de leur poids et de leur apparence à un si jeune âge?

En fait, plusieurs facteurs peuvent influencer la façon dont l'image corporelle d'un individu se développe, et ce, dès la tendre enfance :

> les prédispositions génétiques : l'apparence réelle de l'enfant, qu'il a héritée de ses parents; son tempérament à la naissance, qui peut avoir une influence sur sa capacité d'adaptation et son attitude par rapport à son apparence;

> les attitudes parentales : les comportements du parent face à sa propre apparence; l'attitude du parent par rapport à la beauté et à l'alimentation; le contrôle que le parent tente d'exercer sur l'alimentation de son enfant ou sur son apparence;

> les événements de la vie : être ridiculisé par les pairs à l'école; entendre des élèves se moquer de l'apparence d'un autre élève.

En tant que parents, nous avons peu de pouvoir sur les prédispositions génétiques de notre enfant, de même que sur certains événements qu'il vivra dans les contextes extérieurs à la famille (par exemple à l'école). Par contre, nous avons évidemment un pouvoir sur nos attitudes parentales et sur l'influence que nous représentons pour nos enfants.

En ces années où nous sommes tous de plus en plus préoccupés par l'épidémie d'obésité et la qualité de notre alimentation, il n'est pas surprenant de voir que nos enfants nous suivent un peu dans nos inquiétudes et nos obsessions. Après tout, nous sommes leurs modèles. Lorsqu'une fillette voit sa mère compter ses calories, se regarder dans le miroir en se plaignant de ses «poignées d'amour», s'informer sur des trucs beauté, on peut s'attendre à ce qu'elle enregistre le message que dans la vie, pour être heureuse, il faut être belle et mince.

Il n'y a rien de mal à vouloir faire attention à son apparence et à sa santé, mais il faut être conscient de ce que nos enfants décodent en observant nos comportements. Quand on a 40 ans et qu'on est un peu bedonnant, il peut être sain de vouloir se prendre en main et de vouloir perdre l'excédent de poids. Mais un enfant de 9 ou 10 ans qui nous observe pourrait vouloir faire de même, alors qu'il a un poids santé. Alors, il est important de favoriser l'estime de soi chez nos enfants, de diversifier leurs sources de valorisation et d'être soi-même, en tant que parent, un modèle de personne bien dans sa peau.

On peut tenter de favoriser une saine alimentation dans la famille, mais il est important de ne pas tomber dans l'obsession de la minceur. Et si un parent doit suivre un régime car il souffre d'embonpoint ou d'obésité, il est important d'expliquer aux enfants que ce régime est comme un médicament pour une maladie et que si on n'a pas la maladie, on ne doit pas prendre le médicament!