Le chroniqueur Micah Toub, du Globeand Mail, vient de publier ses mémoires, dans lesquels il raconte sa jeunesse, son adolescence, bref, sa vie, avec ses deux parents psys. Le livre, Growing Up Jung, a Memoir, confirme la croyance populaire: non, les enfants de psys ne sont résolument pas comme les autres. Éduqués selon certains préceptes, analysés à travers différentes lunettes, et surtout encouragés à s'exprimer et s'exprimer encore, comment pourraient-ils l'être?

Dans son livre, Micah Toub raconte entre autres cette anecdote croustillante. Vers 17 ans, il croit être impuissant. Bref, il questionne sa virilité. Sa mère, adepte de Jung (qui a notamment travaillé sur l'interprétation des rêves et l'imagination dite active), l'invite alors à «être» un pénis, littéralement. Elle l'amène au parc, lui demande de fermer ses yeux, d'oublier qui il est. «Tu ne t'appelles pas Micah. Tu n'es pas un être humain. Tu es une érection.» D'abord gêné (qui ne le serait pas?), un brin dégoûté, il finit par se lancer. Au bout de quelques minutes, il court dans le parc, envoûté. «Je suis un pénis victorieux!» Et pour la petite histoire, non, il n'a plus jamais eu de problèmes de cette nature.

Pas tout à fait élevés comme les autres, donc. Bien sûr, tous les enfants de psys ne vivent pas d'expériences aussi peu orthodoxes. N'empêche. Interrogé récemment par le Figaro, le pédopsychiatre français Marcel Rufo a avoué que sa fille, aujourd'hui âgée de 29 ans, avait songé à fonder une «association des enfants de psys». Dès l'âge de 9 ans, elle aurait eu peur de lui: «Je ne vais rien lui confier de ce que je pense, sinon, il va comprendre!»

Alors quoi penser? Redoutables, les parents psys? Quel genre d'adultes deviennent leurs enfants? Nous avons interrogé les principaux intéressés. Des parents psys et des enfants, devenus grands. Parfois pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Portraits.

«Mes parents étaient complètement dans le déni» / Ivan, 36 ans

Ivan se souvient bien du cirque de son adolescence. La maison sentait le cannabis. En permanence. Parce que son jeune frère fumait. Tous les jours, dans sa chambre, il se roulait un joint. Il vendait même de la maison. Se levait de table, le soir, pour répondre à la porte, fournissait la marchandise et revenait s'asseoir, comme si de rien n'était. Il avait de mauvaises fréquentations. Et puis il a fini par se faire renvoyer de l'école. La meilleure école du coin.

Et ses parents? Des décrocheurs? Erreur. «Mon père était psychiatre et ma mère avait une formation en psychologie, spécialiste de la petite enfance», répond Ivan, qui a requis l'anonymat. Il n'est pas tendre envers la profession. «Mes parents ont passé leur vie dans le monde universitaire, mais n'avaient aucune notion pratique, déplore-t-il. Ils ne savaient pas du tout comment nous discipliner.» Aujourd'hui père de deux jeunes enfants («Quand je lui dis: assieds-toi, ma fille s'assois!»), Ivan se souvient encore des crises que faisait son frère s'il n'obtenait pas ce qu'il voulait. «Il était impossible à maîtriser parce que mes parents n'ont jamais fait l'effort de le discipliner.» Passé 30 ans, son jeune frère ne sait d'ailleurs toujours pas trop quoi faire de sa peau. «Il a encore de grands problèmes d'estime de soi.» Vrai, aucun parent ne va «à l'école des parents», reconnaît Ivan. N'empêche. «Mes parents étaient complètement dans le déni, et c'est d'autant plus hypocrite qu'ils étaient thérapeutes. Ils étaient payés pour dire aux autres comment arranger leur vie, ils savaient comment arranger la leur, mais ils se sont montrés complètement impuissants.»

«Ta mère est psy? Oh mon Dieu, comment fais-tu?» / Anna Laurence Vincent, 15 ans

Chaque fois qu'elle dit à une copine ce que fait sa mère, c'est la même réaction: «Oh mon Dieu, comment fais-tu?» confie Anna Laurence Vincent en riant. Pourtant, sa mère est comme toutes les autres, dit-elle. «Peut-être un peu plus exigeante que la moyenne, par rapport aux études et aux sorties. Peut-être un peu plus protectrice, aussi.» Mais elle ne joue pas du tout à la psy avec elle. «Non, vraiment pas avec moi», affirme la jeune fille.

De son côté, sa mère, Renée Marie Vincent, clinicienne d'approche psychanalytique, reconnaît que, forcément, son métier «teinte» son rôle de mère. «Parce que si on est psychologue, c'est qu'on a un grand intérêt pour l'âme, l'être et son intériorité.» Quand tout baigne, rien ne paraît. C'est plutôt quand surviennent des conflits que sa profession dicte davantage ses réactions. Ainsi, récemment, sa fille a commencé à s'affirmer. À lui répondre. Pas nécessairement le plus respectueusement du monde. «Au début, je ne voulais pas lui permettre de s'exprimer ainsi. Et puis j'ai réfléchi. Et j'ai réalisé que je devais accepter. Elle veut se porter en dissidente. Je peux ne pas aimer son ton, mais je n'ai pas à tout étouffer en elle.»

«J'ai appris à fermer ma trappe» / Martin Lafleur, 40 ans

Martin a une mère psychanalyste. Une mère avec des idées souvent très «arrêtées» sur la «psychodynamique familiale». «C'est sûr qu'on a eu certains conflits basés sur des incompréhensions», avoue-t-il tout de go. Tout récemment encore, quand elle a constaté que la conjointe de Martin prenait son bain en même temps que leur fils, âgé de 3 ans, elle a sauté au plafond: «Il faut qu'elle arrête ça, à cause de son OEdipe, ça va exacerber son syndrome de castration!» Mais Martin est resté clame. Exactement comme quand sa mère se lance sur la question de l'homosexualité («qui se traiterait selon elle par la psychanalyse»): «J'ai appris à fermer ma trappe, pour ne pas faire de chicanes, dit-il. J'ai appris à éviter certains sujets.» C'est que Martin a appris avec les années à ne pas trop s'en faire, des «interprétations psychanalityques» de sa mère. «Quand j'étais jeune, je pouvais amener des copines à la maison, mais seulement si elles ne prenaient pas trop de place...» Parce que prendre de la place, cela voulait dire «prendre possession de la maison».

Ironiquement, Martin est aujourd'hui lui aussi psychologue, mais a choisi la branche la plus scientifique possible: la neuropsychologie. «L'approche psychanalyste de ma mère est intéressante, mais c'est une théorie. Et pour moi, tant que ça n'est pas validé scientifiquement, ça reste une théorie», dit-il.

«Souvent, moi, je ne sais pas quoi faire avec mon enfant de 3 ans!» / Marie-Christine Ouellet, 34 ans

Mère de deux jeunes enfants, Marie-Christine trouve toujours très ironique que des éducatrices, à la garderie, lui parlent avec un air de connivence: «Toi, tu comprends!» Vrai, elle est psychologue, mais «la psychologie de l'enfant, ce n'est pas mon domaine, et souvent, moi, je ne sais pas quoi faire avec mon enfant de 3 ans! témoigne-t-elle en riant. Alors que son éducatrice, elle, ça fait 25 ans qu'elle en a!» Sa formation fait-elle d'elle une meilleure mère? Non, au contraire, assure-t-elle. «Des fois, je me tape dessus. Je sais qu'un enfant a besoin de routine, de structure, de constance dans la discipline et l'attachement, alors si je m'écarte de ce chemin, je sais que je ne fais pas la bonne chose, alors je me tape dessus.»

Elle note aussi qu'elle a tendance, avec son conjoint, aussi psychologue, à remarquer certains comportements de leurs enfants «et à mettre des étiquettes», dit-elle. «Des fois, on exacerbe nos inquiétudes et on s'embarque dans une roue.» Bilan? «Je crois que mes enfants vont être très corrects. Mais on dépense beaucoup d'énergie à réfléchir et à analyser et, parfois, c'est une énergie qui pourrait être mise ailleurs. À avoir plus de plaisir avec nos enfants, par exemple!»

«Si je n'avais pas de problème, c'est que quelque chose n'allait pas» / Fanny Weilbrenner, 35 ans

La mère de Fanny est psychothérapeute. Elle a beaucoup travaillé avec les jeunes, le DPJ, les cas d'inceste. Quand Fanny était adolescente, ces cas l'intriguaient. «Je posais des questions, se souvient-elle. Et à force d'en parler, on se met à penser: moi, est-ce qu'il m'est arrivé quelque chose? Je ne m'en souviens peut-être pas!» Avec le recul, elle s'interroge: «J'ai eu une maman formidable, vraiment, je l'admire et je suis sûre que c'est une psychologue extraordinaire, mais ce sont des sujets dont on ne veut pas nécessairement parler avec sa mère.»

Elle se souvient avoir eu beaucoup de discussions «intenses»: «Tout était intense, dit-elle. C'est comme si les psys vivent tellement avec le problème que si on n'a pas de problème, c'est que quelque chose ne va pas!»

Vrai, Fanny a finalement traversé une «grande crise d'adolescence»: «Je me suis révoltée contre la psychologie. Est-ce qu'on peut vivre dans le moment présent? À un moment donné, ça va faire, le brassage!» Mais est-ce seulement à cause de la profession de sa mère? Comment savoir. «Si ma mère avait été danseuse, mon père boucher, ça aurait été autre chose...»

«Je ne me suis jamais sentie en thérapie» / Maude Gendron Langevin, 28 ans, Rachel Langevin, 22 ans

«Moi, je démentirais le cliché voulant que les enfants de psys soient des enfants fêlés!» lance Maude, sans hésiter. Malgré un père psychologue et une mère et une belle-mère travaillant également dans le domaine, sa soeur Rachel et elle affirment toutes deux ne jamais avoir été psychanalysées. «Non, vraiment pas. Ils ont toujours été très présents, à l'écoute, mais je ne me suis jamais sentie en thérapie», confie Maude, qui étudie à son tour en dramathérapie. Et s'il leur arrivait d'approcher de ce terrain glissant, les soeurs ne se privaient pas de sonner l'alarme. «Quand ça me tape sur les nerfs, je le dis», ajoute Rachel, étudiante au doctorat en psycho.

Vrai, quand des amis viennent à la maison, ils subissent souvent «un gros interrogatoire. Douze mille questions. Quand j'étais préado, ça me mettait mal à l'aise», ajoute Rachel. Aujourd'hui, par contre, elle apprécie. Car quand elle rencontre un gars, ses parents arrivent rapidement à le cerner. «Lui, il a l'air un peu narcissique, celui-là, il ne voudra pas trop s'engager.»

«C'est sûr que quand on est psychologue, on a une oreille plus grande que la moyenne et les gens le voient», ajoute leur père, Richard Langevin. Mais avec ses filles, il «fait des efforts» pour enlever son chapeau professionnel. Il reste que, selon lui, sa profession fait certainement de lui un meilleur parent. «À cause de mes connaissances, dit-il, je choisis de meilleures stratégies que si je n'étais pas psy.»