Cela fait 50 ans ces jours-ci que des femmes, au Québec, conseillent, réconfortent et encouragent de jeunes mères dans leurs premières démarches d'allaitement. Si, aujourd'hui, une foule de groupes du genre existent, à l'époque de sa fondation, la Ligue La Leche était presque révolutionnaire. La fondatrice de la section montréalaise se souvient.

Pensez-y. En 1960, les femmes qui accouchaient n'avaient aucun contact avec leur bébé pendant plusieurs heures, parfois toute une journée. Elles quittaient l'hôpital avec des échantillons de lait maternisé. Quelques semaines plus tard, elles donnaient déjà des aliments solides à leur poupon. Dans les livres sur les soins à donner aux jeunes enfants, après deux lignes sur l'allaitement, suivaient des pages sur la préparation et la stérilisation des biberons.

 

Ces anecdotes semblent aujourd'hui à la limite de l'hérésie. Pourtant, à l'époque, c'était la norme. Les mères qui voulaient faire autrement étaient regardées de travers, critiquées, remises dans le droit chemin.

«En 1960, je ne me rappelle pas avoir connu une seule autre femme qui allaitait à part ma mère!» se souvient Marguerite Bergeron. C'est elle qui, en 1967, faute de soutien, fondera la première section montréalaise de la Ligue La Leche. Plus de 10 ans auparavant, en 1956, le tout premier groupe La Leche avait été fondé en Illinois par sept riches housewives.

Premier groupe à Jonquière

Il faudra attendre 1960, donc, pour que le premier groupe québécois voie le jour, à Jonquière, grâce à deux jeunes mères: Martha Larouche et Barbara Pitre, puis 1967 avant de voir naître un groupe à Montréal.

Mais n'allez pas croire que l'allaitement a été chose facile pour Marguerite Bergeron. Sa première expérience, avec son aîné, a été désastreuse. «J'allaitais comme on donne le biberon, aux quatre heures. Le pauvre petit, il mourait de faim!» Elle n'a pas tenu trois mois. Elle est ensuite tombée par hasard sur un reportage du Reader's Digest sur «les joies de l'allaitement». Une révélation. «C'est ce que je cherchais. Je l'ai encore!» Et c'est là, à côté du récit des débuts de la Ligue aux États-Unis, qu'elle a appris l'existence d'un groupe à Jonquière. Elle a donc aussitôt appelé sa fondatrice, Mme Pitre: «J'étais tellement contente de trouver enfin quelqu'un avec qui parler et qui me montrerait comment faire!» La dame lui a envoyé le manuel de la Ligue, qui n'était alors pas encore traduit.

Devant chaque difficulté, elle notait ses questions. Et elle passait les fins de semaine pendue au bout du fil. «J'avais toujours une vingtaine de questions à poser! Et j'avais besoin que Mme Pitre me confirme dans mes gestes.»

Puis, après sa deuxième expérience d'allaitement, cette fois toute positive, Mme Bergeron a décidé de fonder un groupe à Montréal. «J'étais tellement convaincue, je voulais que toutes les autres mères sachent comment faire!»

Après une formation par correspondance, elle a donc fondé le groupe. Elle conseillait d'abord les mères par téléphone. «Je passais 20 minutes au téléphone avec chaque personne pour les rassurer comme Mme Pitre m'avait rassurée.»

Puis, elle a organisé des rencontres mensuelles.

Le groupe fait rapidement jaser, et Marguerite Bergeron multiplie les entrevues dans les médias (dont La Presse, en 1969, qui titre: «Les mamans ont tort de ne pas vouloir allaiter leur enfant»). À la radio, les tribunes téléphoniques ne dérougissent pas devant ces pratiques souvent perçues comme rétrogrades. Le biberon n'avait-il pas libéré les femmes de cette tâche primitive?

Qui étaient donc celles qui venaient ainsi chercher conseil? «Des femmes instruites, pense Mme Bergeron. Mais encore une fois, vous savez, on ne parlait pas vraiment de ça, on n'avait pas le temps, on ne parlait que d'allaitement!»

«Une religion»

Avec les années, on a souvent reproché à la Ligue sa rigidité. Avec le recul, Marguerite Bergeron reconnaît avoir peut-être elle-même été un peu radicale. Les monitrices voulaient toutes que les femmes allaitent le plus longtemps possible, laissent les enfants se sevrer eux-mêmes, et manquaient parfois de compassion pour celles qui n'y arrivaient tout simplement pas.

«C'est vrai. Pour moi, l'allaitement était devenu une religion, avoue-t-elle. J'avais tellement pratiqué la religion catholique... Là, c'était fini. Ma nouvelle religion était devenue l'allaitement.»

Mais elle croit que la Ligue s'est assouplie. «On s'est calmées avec le temps.» Reste que, encore aujourd'hui, quand elle voit une femme allaiter au centre commercial, elle ne peut s'empêcher de sourire. Et de mesurer le chemin parcouru.

Info et inscription: www.allaitement.ca

 

LA LECHE EN CHIFFRES

1956 Création en Illinois de la ligue La Leche («le lait» en espagnol - se prononce «la létché») par sept mères de famille. À l'époque, à peine 20% des bébés sont allaités aux États-Unis.

1960 Création à Jonquière de la première section québécoise de La Leche par Martha Larouche et Barbara Pitre. On dit que seulement 25% des mères québécoises tentaient d'allaiter leur bébé à l'époque.

1967 Création du premier groupe La Leche à Montréal, par Marguerite Bergeron.

1970 La Leche compte une division dans chaque État des États-Unis.

2010 Environ 85% des mères québécoises allaitent leur bébé, et près de 50% d'entre elles poursuivent pendant au moins six mois. La Leche compte aujourd'hui 25 groupes dans la province. Mais elle n'est plus seule. D'autres groupes de soutien à l'allaitement, notamment Nourri-Source, côtoient désormais La Ligue. Le congrès annuel de la Ligue La Leche aura lieu demain au collège Jean-de-Brébeuf. Plus de 300 personnes sont attendues pour une séance symbolique d'allaitement simultané: «50 secondes d'allaitement pour les 50 ans de La Leche.»