Un monde sépare le père autoritaire des années 40 du papa poule des années 2000. Et pourtant, malgré de grands bouleversements, l'accès aux salles d'accouchement, le congé de paternité et la participation à part entière à l'éducation des enfants, fondamentalement, les pères sont aussi restés les mêmes. Par-dessus tout : des grands coeurs joueurs. Quatre pères, issus de quatre générations, se racontent.

Les années 40: sans trop de questions

Hervé Fecteau, père de cinq enfants nés en 1941, 1943, 1945, 1947 et 1951. "Mon rôle, c'était d'être un pourvoyeur et un gardien."

À l'époque, veux, veux pas, avoir des enfants allait tout simplement de soi. On se mariait, et les enfants arrivaient, plus ou moins après.

Il rencontre celle qui allait devenir sa femme à la fin de la vingtaine. Deux ans plus tard, elle lui annonce la nouvelle: elle attend un premier enfant. Une fois le bébé né, il se sent submergé de responsabilités. Il reprend ensuite son travail, sans trop se poser de questions. "À l'époque, tout le monde avait sa petite famille. Ça n'était pas un événement extraordinaire. C'était la vie courante."

Une vie qu'il a vite fait d'adopter. Car même s'il leur a rarement dit "je t'aime" ("on les serrait plutôt dans nos bras"), l'homme, par ailleurs peu porté à exprimer ses émotions, avoue avoir "aimé beaucoup" sa vie de famille.

À la maison, il "assiste la mère", épluche les pommes de terre, fait la vaisselle, et étend parfois le linge sur la corde. Le reste, le soin des enfants, la lessive, et l'essentiel de la cuisine, c'est la mère qui s'en occupe. Autoritaire à ses heures, il est surtout joueur : "Mon plaisir, c'était de les voir courir se sauver!"

Le plus dur? Les voir partir, vers 15 ou 16 ans, étudier en ville. "Ça a été un déchirement, dit-il, le poing sur le coeur. À chaque départ, ça a été un deuil. Parce que je savais que le tour des autres viendrait. Qu'un jour, on serait seuls à la maison. Mais ne me faites pas pleurer, là!"



Les années 60: accès aux salles d'accouchement interdit

Jean-Guy Duchaine, père de quatre enfants, nés en 1965, en 1968, et deux jumeaux nés en 1971.

"Mon plus grand rêve, c'était de dire à ma femme : "Voilà, tu peux arrêter de travailler, je suis capable de te faire vivre.""

Aux débuts des années 60, les traditions perdurent. Quand un jeune homme rencontre une fille de son goût, il la fréquente, et "pour aller au bout des choses", ils se marient. Il se marie donc à 20 ans, et quelques mois plus tard, sa femme attend leur premier enfant.

Ils suivent ensemble des cours de préparation à l'accouchement. "C'était un peu révolutionnaire". Mais là s'arrête la révolution, et, au grand dam de cette génération de contestataires pré-1968, les pères sont exclus des salles d'accouchement.

Au bout de 30 heures, le médecin finit par venir le voir pour lui présenter enfin sa "belle petite fille".

Fou comme un balai, après avoir eu le "droit" de voir la mère quelques instants, il sort en chantant dans la rue. "T'étais père, tu avais prouvé ta masculinité. On était très fier de ça."

Puis sa vie reprend son cours. Car à l'époque, les pères n'ont droit qu'à une journée de congé. À la maison, il donne "un coup de main" à la mère, mais les rôles, de son propre aveu, demeurent très traditionnels.

Aujourd'hui, deux divorces plus tard, après avoir été réduit à de simples "droits de visite", pour passer ensuite à une garde à temps plein, il est l'heureux "papi" de 12 petits-enfants. "Et c'est merveilleux, dit-il, visiblement ému. J'ai semé une espèce de prolongement. Je me dis que c'est ça, la paternité."

Photo: fournie par la famille

1969. Jean-Guy Duchaine avec sa fille, Hélène.