Bébé a mouillé sa couche. Son père le lange et, saisissant l'occasion, il sort un carton sur lequel il a écrit «PIPI». Voilà la méthode préconisée par un auteur québécois pour familiariser les enfants à la lecture... dès l'âge de 6 mois.

Pierre Bergeron a eu une fille et un garçon, aujourd'hui adultes. Il a aussi côtoyé la fille d'une conjointe pendant quelques années. Il a enseigné à chacun la lecture dès la plus tendre enfance et tous savaient lire avant d'entrer à l'école.

Sa méthode? Celle de l'Américain Glenn Doman, popularisée dans les années 60: présenter des mots écrits en rouge sur de gros cartons à des enfants dès le plus jeune âge. Il a tant apprécié la technique qu'il a écrit Comment apprendre à lire à mon bébé (Éditions ATMA internationales), un livre dans lequel il expose son expérience personnelle.

Pour ses enfants, il a écrit des mots d'usage courant, comme maman, papa, pipi, caca, ballon... Quelques minutes par jour, il jouait avec les cartons devant eux et les amenait à associer le mot à sa signification.

«Ça va très vite, explique M. Bergeron. Au bout de quelques séances, même un bébé peut comprendre que MAMAN veut dire maman. Au bout de deux ou trois ans, les enfants les plus intéressés peuvent reconnaître plusieurs centaines de mots.»

Avec la pratique et les années, soutient-il, un enfant peut aussi faire des liens et lire des mots. Même ceux qu'il n'a pas appris à reconnaître globalement (comme un dessin). Grâce à cette méthode, la fille de sa conjointe lisait des livres, seule, à 4 ans, raconte-t-il.

«L'important, c'est de s'amuser et de ne pas tomber dans le piège de l'évaluation, précise-t-il. On n'évalue pas l'enfant. On assume qu'il intègre la lecture comme n'importe quel autre apprentissage de sa vie courante.»

Quand on l'interroge sur la précocité de cet apprentissage, et sur les risques de tomber dans l'excès, il réplique, machinalement: «Si on montre un lion à un enfant et qu'on lui demande «quel bruit fait-il, le lion?», personne ne s'en offusque. Pourquoi s'offusquer quand on ajoute des cartons au jeu?»

D'après Pascale Lefrançois, professeure en didactique du français à l'Université de Montréal, un parent qui utiliserait une telle méthode ne nuirait pas à son enfant. Elle ajoute que les adultes doivent toutefois se montrer respectueux du rythme d'apprentissage du bambin.

«Les enfants reconnaissent des mots naturellement, comme les noms des commerces, avant même de savoir lire. S'ils se montrent curieux et qu'ils posent des questions, il faut toutefois passer rapidement à autre chose et présenter le son des lettres, propose-t-elle. Pour plusieurs enfants, si l'on change la police de caractère de «Métro», ce n'est plus le même mot.»

Elle ajoute aussi que les parents dont les enfants ne savent pas lire avant la première année ne doivent pas s'inquiéter. «Ça ne nuira pas à leurs chances d'accéder à l'université s'ils apprennent à lire en même temps que les autres!»

Se préparer à l'école

Qu'ils optent ou pas pour la méthode proposée par Pierre Bergeron, les parents peuvent toutefois préparer leur enfant à l'apprentissage de la lecture sans un enseignement structuré. D'abord, en leur apprenant, dès la petite enfance, à reconnaître les bruits de tous les jours, comme un chat, une porte qui claque, des instruments de musique...

«L'enfant doit être capable de discriminer ces sons avant tout, explique Silvia Lopez, présidente de l'Institut d'orthopédagogie de Montréal. Ensuite, il pourra discriminer le son des lettres et comprendre que chaque lettre a un son différent.»

L'orthopédagogue ajoute que les jeux de rimes (trouver des mots qui se terminent en a...) permettent aux enfants dès 2 ou 3 ans d'isoler le son de certaines lettres. Un coup de pouce ludique à l'apprentissage futur de la lecture.

«Certains enfants arrivent à l'école et ne peuvent pas discriminer le son des lettres, explique-t-elle. Pour eux, le m ne fait pas «mmmmmm», mais «emme». Ils n'arrivent donc pas à mettre le bon son au début du mot «maman», qu'ils vont lire «emme-a-emme-a-enne». Amener un petit à comprendre le bruit des lettres avant d'entrer à l'école est donc, à mon avis, assez important.»

Elle ajoute que ces jeux doivent «impérativement» être ludiques, et que lorsqu'un enfant regarde ailleurs, c'est le moment de passer à autre chose.