Il porte un nom chargé de sens et se promet de faire la révolution au petit écran. À 18 ans, Tcheguevara St-Jean commence à peine sa carrière de comédien, mais il a bien l'intention de prendre son destin en main.

À l'école Louis-Joseph-Papineau dans le quartier Saint-Michel, une petite délégation d'écolières ricaneuses et espiègles nous accueille avec curiosité et amusement. «Tcheguevara St-Jean est demandé à la réception», annonce à l'interphone la responsable de ce joyeux comité. «Hé, madame, vous ne voulez pas faire une entrevue avec moi?» ose la plus délurée des trois, entraînant ses complices dans un long fou rire.

Quelques instants plus tard surgit un grand sportif grave et sérieux en uniforme scolaire. Il nous invite à passer dans le gymnase de boxe où, de toute évidence, il a passé une bonne partie de ses années de secondaire. Ces jours-ci, Tcheguevara vit des heures de gloire, à Louis-Joseph Papineau, puisque depuis lundi dernier, il tenait un rôle important dans la série 30 vies.

«Ouais, les gens sont encore plus fiers que je le suis moi-même. Il y a même un prof qui m'a demandé mon autographe», confie avec une certaine timidité cet élève de cinquième secondaire, qui s'est un peu reconnu dans le personnage d'Edmond Jean-Claude imaginé par Fabienne Larouche.

«Edmond est considéré par les profs comme le pire bum de l'école. C'est un gars qui dit ce qu'il a à dire. Il est vrai. Son père est en prison, il vit dans un appartement supervisé. Depuis qu'il est tout petit, il a dû se prendre en main et il a grandi un peu dans la rue.»

Les parents de Tcheguevara St-Jean sont encore de ce monde, mais le jeune homme de 18 ans, arrivé à 4 ans d'Haïti, a depuis décembre dernier quitté le foyer familial pour s'installer chez un couple d'amis qui l'a pris sous son aile. La tristesse qui traverse son regard quand il est question de sa famille nous fait vite comprendre que son enfance n'a pas été rose.

«Depuis que je suis tout petit, j'ai toujours eu envie d'indépendance. Dans mon enfance, j'ai vécu des moments pas mal compliqués qui m'ont amené à croire que dans la vie, que t'aies des parents ou pas, c'est toi qui comptes. Il ne faut pas dépendre des autres pour faire quelque chose.»

Les chemins de la vie

Impossible de contourner le sujet: d'où vient ce prénom fortement chargé symboliquement? «Je n'ai jamais osé demander à mes parents pourquoi ils m'avaient prénommé ainsi. Une fois, mon directeur m'a dit: «Je te donne 20$ si demain, tu me reviens avec une recherche sur Che Guevara.»»

Sans fausse modestie, le jeune homme au nom prédestiné raconte le chemin qui l'a mené à trouver une place au petit écran québécois.

«Un jour, j'ai remarqué que je développais un certain talent pour chaque chose que je touchais. J'ai commencé par faire de la boxe, ensuite je rappais, je jouais au basket. Quand j'ai commencé à faire de l'art dramatique à l'école, les profs étaient vraiment étonnés. Un jour, le réalisateur Charles-Olivier Michaud a appelé à l'école, parce qu'il cherchait un jeune Noir pour tourner un film en Haïti (Exil). Un an plus tard, je faisais des auditions pour le film et on m'a demandé si je voulais aussi auditionner pour 30 vies

Les 17 jours de tournage en République Dominique avec l'équipe d'Exil et l'expérience de 30 vies ont convaincu Tcheguevara St-Jean qu'il voulait devenir acteur. «Quand on regarde la télé au Québec, c'est rare qu'on voie des Haïtiens. Ça m'intéresse vraiment de changer cela.»

Les longues journées de tournage, ça ne lui fait pas peur. «J'ai fait des affaires beaucoup plus difficiles dans ma vie. Je suis du genre à m'entraîner à la boxe et ensuite, aller au basket. Je ne m'arrête jamais», dit celui qui affirme n'avoir «que des amis» à son école.

Tcheguevara soutient que la boxe lui a apporté maturité et motivation. Même s'il ne sait pas trop quel chemin il doit emprunter pour réaliser son ambition de «devenir quelqu'un de vraiment important», il sait qu'il veut étudier le plus longtemps possible. Et en théâtre, idéalement.

À 18 ans, Tcheguevara transmet une gravité de quelqu'un qui a vécu 30 vies. Et s'il a choisi son indépendance, il ne renie pas ses origines. «Je pense que c'est par manque de confiance que mes parents agissaient ainsi avec moi. Plutôt que de rester là et de perdre ma tête, j'ai préféré aller quelque part où je pouvais m'établir. Ça fait du mal d'habiter depuis que t'es tout petit avec quelqu'un qui ne te connaît pas...»