Depuis 10 ans, le Viagra a ravi des millions d'hommes en donnant une nouvelle ardeur à leurs ébats sexuels. Les femmes qui ont la libido à zéro peuvent-elles espérer une pilule miracle? Le désir féminin est complexe, mais l'industrie pharmaceutique travaille fort pour conquérir ce nouveau marché. Certains produits sont d'ailleurs sur le point d'être commercialisés.

Le désir sexuel se passe entre les oreilles, dit-on. Si la panne de désir peut être d'origine psychologique, elle peut aussi être purement biologique. «Les drogues destinées à corriger les troubles du désir féminin agissent sur les hormones ou les neurotransmetteurs chimiques et activent le système de l'appétit sexuel logé dans l'hypothalamus», explique Jim Pfaus, professeur au département de psychologie de l'Université Concordia et chercheur en neurobiologie comportementale. Il s'intéresse à l'effet des médicaments sur le désir féminin. «Ça n'a rien à voir avec le Viagra, qui agit avant tout sur la plomberie.» Chez la femme, désir et réponse sexuelle sont distincts.

 

En Europe, les femmes ménopausées - dont la production de testostérone est en chute libre - ont déjà accès à des médicaments. Depuis février 2007, le timbre de testostérone Intrinsa est offert aux femmes en ménopause chirurgicale, par exemple après une ablation des ovaires. «La testostérone est absorbée par la peau dans le sang et agit sur le cerveau, qui active le système lié au désir sexuel», explique Jim Pfaus.

«Ces timbres sont posés deux fois par semaine sur le bas-ventre et ont des résultats notables sur l'augmentation du désir, dans 74% des cas avec le produit, 33% seulement avec le placebo, selon des études scientifiques», indique le Dr Sylvain Mimoun, gynécologue-andrologue français, spécialiste des troubles de la sexualité.

LibiGel est aussi disponible depuis peu sur le Vieux Continent. Destiné aux femmes ménopausées, il pourrait être offert dès 2011 en Amérique du Nord. On applique ce gel de testostérone sur les organes génitaux afin d'y augmenter l'afflux sanguin et favoriser la lubrification. Comme la testostérone est absorbée dans le sang, elle n'agit pas que localement, mais aussi sur le cerveau. Pour le moment, Intrinsa et LibiGel ne sont pas approuvés aux États-Unis et au Canada.

Raviver la flamme: nouvel espoir

La flibansérine, de Boehringer Ingelheim, pourrait bientôt faire des heureuses parmi toutes les femmes dont le désir bat de l'aile. La Food and Drug Administration des États-Unis devrait homologuer le produit d'ici quelques mois, selon Jim Pfaus. «Ce sera le premier remède non stéroïdien sur le marché pour les troubles de désir», dit-il. La flibansérine agit en bloquant la transmission de sérotonine, naturellement sécrétée pour induire une sensation de satiété. C'est vrai pour l'appétit, comme pour le désir sexuel. «Quand le système est suractivé, par exemple en raison de la consommation de Prozac, certains perdent le goût de manger et de faire l'amour.»

Le laboratoire américain Palentin a eu moins de succès avec le PT-141 (bremelanotide). Efficace, il a néanmoins été interdit par la FDA à cause d'une importante hausse de la tension artérielle chez certains sujets pendant les essais cliniques. Une variante est à l'étude, mais une compagnie chinoise n'a pas perdu de temps et vend le PT-141 sur l'internet en dépit des risques.

En attendant la pilule qui garantira le retour des frissons, certaines femmes fouillent dans la pharmacie des hommes. Selon des chiffres de la Régie de l'assurance maladie du Québec cités par le magazine L'actualité en décembre 2008, le gel de testostérone Andriol a été prescrit à 740 femmes en 2007. Dans un sondage réalisé par CROP pour le magazine, «seulement 18% des femmes ont déclaré être prêtes à consommer un équivalent féminin du Viagra».

Une arme à double tranchant?

«La médecine actuelle a tendance à transformer en pathologies des problèmes individuels ou sociaux au profit des intérêts pharmaceutiques, déplore Lydya Assayaq, directrice du Réseau québécois d'action pour la santé des femmes. Je crains qu'on utilise la libération sexuelle, tant voulue par les femmes, à des fins mercantiles. C'est d'autant plus inquiétant que la science arrive avec ses gros sabots, alors qu'on connaît encore mal le désir féminin.»

La sexologue Geneviève Parent craint pour sa part qu'on balaie la source du problème sous le tapis. «Quand la baisse de désir est d'origine physique, je ne suis pas contre les médicaments, dit-elle. Là où j'ai un problème, c'est quand les explications sont psychologiques, émotionnelles et/ou relationnelles. Prenez une pilule et tout sera réglé?»

«Chez une bonne proportion de femmes, l'absence de désir subsiste même après des thérapies, suggérant qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, souligne Jim Pfaus. Comme une voiture qui ne démarre pas même si le réservoir est plein d'essence.»

«J'espère qu'un jour ces produits vont pouvoir aider les femmes, dit le Dr Sylvain Mimoun. Ça ne règle pas tout, mais ça peut leur permettre de ne plus être enfermées dans une spirale négative d'échecs et leur donner un petit élan de l'intérieur. Comme un starter.»