Tapez «yoga» dans Google et vous obtiendrez des photos de corps graciles en postures méditatives, des images de chakras en éveil, des liens vers des sites à saveur spirituelle. Or, un article intitulé «How Yoga Can Wreck Your Body», paru dans le New York Times Magazine le 5 janvier, a causé une petite onde de choc dans les studios d'Amérique du Nord. Sur le tapis et sous les regards bienveillants de Ganesh et Shiva, risque-t-on de subir un «ayoyeasanana» ?

Mercredi dernier, pendant le cours de l'heure du lunch au centre Ashtanga Montréal, un professeur a livré à ses étudiants quelques mises en garde, dans les secondes suivant le chant du «om» collectif.

«Vous avez lu l'article dans le New York Times? C'est intéressant. Cela nous rappelle qu'il faut se responsabiliser vis-à-vis de sa pratique», a confié à ses élèves un spécialiste de l'ashtanga yoga, forme plutôt active de cette pratique millénaire.

C'est que le texte particulièrement alarmiste signé William J. Broad, réduit en fumée l'image de panacée associée à la pratique du yoga. Broad y cite surtout les propos de Glenn Black, un professeur ayant étudié en Inde avec B.K.S. Iyengar. Fort de quatre décennies d'expérience et d'années de réclusion et de méditation, M. Black est arrivé à la conclusion «qu'une majorité de gens devrait cesser de pratiquer le yoga».

Vraiment?

«Je l'ai lu et je rejette à peu près tout ce qui y est écrit», dit Hart Lazer, un professeur très réputé en Amérique du Nord, qui estime que l'article ne cible pas les «vrais» dangers du yoga et rapporte aussi des faussetés. Par exemple, relève Hart Lazer, l'article attribue à Robert Cole l'utilisation de couverture dans l'exécution de la posture sur les épaules. Erreur, dit Hart Lazer: c'est Iyengar lui-même qui, dans Yoga Dipika, a révisé sa méthode en ayant recours aux accessoires.

«Le plus irritant, dans cet article, c'est qu'il exclue totalement du discours le yoga chaud, qui à mon avis (et, de plus en plus, celui de la communauté médicale), est probablement la forme la plus dangereuse de yoga.»

Après avoir survolé le papier du New York Times, Marjorie St-Aubin, kinésiologue à l'Université de Montréal qui fait une maîtrise sur le yoga, reconnaît que la pratique de yoga n'est pas 100% sans risque. Mais cette théoricienne et praticienne n'est pas prête à remiser les tapis au grenier. «Il y a plus de constats sur les bienfaits que sur les blessures», dit la kinésiologue, qui reconnaît toutefois qu'une pratique mal encadrée ou téméraire peut parfois faire bobo.

«Beaucoup de gens s'improvisent prof, après une formation limitée dans les domaines de l'anatomie ou de la biomécanique», évoque Mme Saint-Aubin, qui ajoute que l'attitude de l'élève est autant, sinon plus importante que la personne qui donne le cours.

«Le yoga n'est pas une performance. Certains en font un défi personnel. Quelqu'un qui commencerait avec un type de yoga intense pourrait se blesser.»

Selon la kinésiologue, le yoga doit être pratiqué avec patience et prudence. À l'instar de Hart Lazer, elle émet de sérieuses réserves à l'endroit du Bikram (yoga chaud), une forme ces jours-ci très populaire. «Ça pourrait créer des problèmes chez les gens qui souffrent de diabète, d'hypertension, de haute ou de basse pression. Il y a des gens qui sont pris de malaise et doivent sortir des salles chauffées.»

Antoine Marclay, bien connu dans le circuit du yoga montréalais pour ses cours de hatha où la méditation tient une place importante, rapporte que les classes nombreuses sont aussi des facteurs de risque.

La journée de notre entretien, il venait de faire une séance avec des nouveaux venus qui profitaient d'une promotion de début d'année. «C'est toujours difficile dans un cours bondé, de suivre chaque étudiant qui a une condition physique spécifique», affirme M. Marclay, qui commence ses classes avec un petit discours sur l'écoute de soi, sur la compréhension de ses états de conscience...

«Dans les cours où il y a beaucoup de gens, on est porté à se comparer à l'autre personne qui arrive à faire la posture avancée. Même si on propose une variation, certains veulent aller au-delà de leurs limites.»

Un danger qui croît avec l'usage?

En 30 ans de pratique, l'ostéopathe et chiropraticienne Karen O'Reilley a traité plusieurs adeptes du yoga. «Très rarement», a-t-elle rencontré des blessés du tapis. «Le but du yoga est d'être en connexion avec son corps, de faire une méditation en mouvement. Mais la pensée occidentale nous amène à pousser plus loin, dans le contexte de l'exercice physique, ce qui peut rendre certains enclins à mal exécuter les postures et se faire mal. Le yoga restauratif est très approprié pour notre monde.»

Selon l'article du New York Times, la popularité du yoga, l'incompatibilité d'un quotidien passé assis devant un ordinateur avec la pratique de certains asanas et la propension de certains professeurs à pousser leurs élèves contribuent aux risques physiques de la pratique actuelle du yoga.

Aux États-Unis, 20 millions de personnes s'adonnent à cette pratique. Avec tous ces studios qui poussent comme des champignons, le yoga est une affaire lucrative et plusieurs s'improvisent professeurs presque du jour au lendemain.

Jessica Goldberg, la cofondatrice du studio Ashtanga Montréal, en plein coeur du centre-ville, a elle aussi été sensibilisée par l'article du Times. «Les gens tombent en amour avec le yoga, s'inscrivent à une formation de professeur de 200 heures et se lancent dans l'enseignement», dit celle qui a enseigné la danse pendant 20 ans et a attendu d'avoir une très solide pratique avant d'enseigner le yoga.

«Pour moi, il y a deux types de yoga: le yoga intelligent et le yoga stupide. Hatha, ashtanga, kripalu... Tout ça est bon, pourvu que l'on soit à l'écoute de notre corps et de nos besoins. Les profs et les élèves avancés ont quant à eux la responsabilité de guider les gens dans la bonne direction.»

Les blessures physiques que Hart Lazer a le plus souvent rencontrées, en 30 ans d'enseignement et de pratique?

«En ashtanga, les épaules et les tendons écopent. Il peut aussi y avoir des blessures associées à des mouvements répétés. Dans l'approche Sivananda, certains risques sont associés au poids que l'on porte sur la tête et la nuque. C'est dans l'approche Iyengar, où la dimension biomécanique est la plus développée, que l'on retrouve le moins de blessures.»

Est-ce tout de même préférable de pratiquer que de s'abstenir? «Pour la majorité des gens, absolument», tranche Hart Lazer.