Andrew Nissen n'a jamais fréquenté la garderie. Tout comme son père, le petit bonhomme de 5 ans grandit parmi les fleurs, filant à toute vitesse sur son tricycle rouge dans une serre grande comme deux terrains de football.

Quand il se sent d'attaque, le petit garçon donne un coup de main aux employés de la serre. Mais la plupart du temps, il préfère sillonner les allées accompagné de deux ou trois chiens qui le suivent à la trace. «Moi aussi, quand j'étais petit, ça étonnait mes amis quand je leur disais que je faisais du vélo en t-shirt alors qu'il faisait 20 au-dessous de zéro», se souvient en riant Vaghn Nissen, propriétaire des Serres hollandaises, à Napierville.

Partout dans la serre, des haut-parleurs crachent de la musique. «Il paraît que c'est bon pour les fleurs. Mais je pense que c'est surtout bon pour les employés», lance-t-il à la blague.

Son père, Peter, a fondé l'entreprise il y a 57 ans, alors qu'il venait de débarquer au Canada en provenance du Danemark, son pays natal. «Il a appelé ça les Serres hollandaises parce que ça sonnait plus crédible. Au Québec, les gens ne connaissaient pas grand-chose aux fleurs, mais les Hollandais, déjà à l'époque, étaient réputés pour leur production florale.» Le patriarche Nissen a aussi participé à la création de l'Encan floral interprovincial, où s'écoule aujourd'hui la majeure partie de la production florale des serres québécoise.

Mais après avoir connu plusieurs années de croissance, l'entreprise familiale est maintenant en péril. «On marche sur nos réserves», affirme M. Nissen. C'est aussi le cas de plusieurs autres serres québécoises, qui sont secouées par la forte concurrence ontarienne et américaine, confirme Pierre Melançon, de l'Encan floral interprovincial.

Au Québec, l'explosion du coût du mazout, dans les dernières années, a fait très mal à l'industrie. Pour arriver à produire, les serres québécoises doivent chauffer davantage durant les mois de décembre, janvier et février. Parallèlement, ce sont les trois mois où les ventes de fleurs sont les plus basses, forçant les serres à puiser dans leurs économies pour fonctionner. «Nous songeons à fermer pendant ces trois mois difficiles», affirme Vaghn Nissen.

En comparaison, la vallée du Niagara, où se concentre la production florale ontarienne, profite de quatre ou cinq semaines de plus de temps clément. «Ça peut faire une différence de 5000$ à 6000$ par mois dans le budget de chauffage», indique M. Melançon.

Le taux de change du dollar canadien défavorise aussi les producteurs d'ici. «Les producteurs ontariens, qui ont toujours fait beaucoup d'affaires sur le marché américain, n'arrivent plus à vendre leur production aux États-Unis. Alors ils inondent le marché québécois. Ça nous empêche d'obtenir de bons prix», estime M. Nissen.

Et comble de malheur, l'année en cours apporte un défi logistique supplémentaire: Pâques et la fête des Mères, qui représentent 30 ou 40% de la production annuelle, ont lieu à seulement deux semaines d'intervalle, ce qui force les producteurs à concentrer leurs efforts à l'intérieur d'une période très courte.

«En plus, la météo n'est pas de notre bord, cette année», constate Vaghn Nissen.

Pourquoi alors se battre pour vendre des fleurs si le marché est si difficile? «Nous sommes des gens passionnés», résume Marie Lampron, directrice du marketing de Rose Drummond, le seul producteur de roses coupées au Québec. «Nous vendons de l'émotion. C'est ça qui nous anime»