La boucherie de la ferme Odelil a de quoi donner le vertige même au plus convaincu des carnivores. Les carcasses y sont vieillies au moins trois semaines, et jusqu'à 25 jours, avant de passer sous le couteau du boucher. Le boeuf 100% Angus, aussi certifié biologique, prend une couleur rouge foncé. La surface a séché. La viande est persillée, mais maigre.

On se croirait dans un des meilleurs steakhouses du monde, mais on est dans un rang de Sainte-Monique-de-Nicolet, au sud de Trois-Rivières.

Hélène Rouillard et André Lemire sont très fiers de leur viande. Ils se sont lancés dans le boeuf au milieu des années 80, sont passés au bio une douzaine d'années plus tard. Ils ont maintenant une cinquantaine de vaches et une dizaine de truies qui leur donnent environ 150 porcs par année. La ferme est toute petite mais bien équipée en salle de découpe et en boucherie. La carcasse des bêtes envoyées à l'abattoir revient à la ferme, où elle est transformée en bacon, saucisses, jambon, filets mignons et côtelettes.

«On voulait tout faire ici», explique Hélène Rouillard, qui s'assure que chaque coupe soit à son goût et que chaque paquet soit impeccable. On a beau produire de la viande, on ne voudrait pas faire des rôtis pleins de sang, dit-elle. Les consommateurs qui achètent de la viande bio sont sensibles aux principes de l'élevage, mais ce sont des clients très exigeants. Ils sont prêts à payer davantage, mais ils veulent un produit irréprochable.

La difficile mise en marché de la viande bio

Le défi de la plupart des éleveurs qui font du bio est de se faire un chemin jusqu'au consommateur. La différence de prix entre la viande ordinaire et la viande de spécialité est substantielle. Pour éliminer les intermédiaires et réduire les coûts, la plupart des éleveurs du Québec préfèrent vendre directement aux clients. Paniers de produits bio, coopératives, livraison à la maison, vente à la ferme, Hélène Rouillard et André Lemire font tout cela, mais ils se sont aussi frayé un chemin jusque dans les supermarchés.

Ironiquement, la productrice a commencé à vendre sa viande dans des boutiques d'alimentation spécialisée qui étaient surtout fréquentées par... des végétariens! «Plusieurs personnes qui avaient arrêté de manger de la viande ont recommencé quand ils ont vu qu'ils pouvaient aussi y avoir de la viande de qualité, sans hormones de croissance.»

La nourriture servie aux animaux élevés en mode biologique doit être exempte d'OGM, et les pâturages où ils broutent ne doivent pas avoir été fertilisés chimiquement.

Marché en croissance

La viande n'occupe que 1% du marché des aliments biologiques, lequel ne représente lui-même qu'une toute petite part du panier d'alimentation des Québécois, soit entre 1% et 2% de tous les achats, selon le Syndicat des producteurs de viande biologique du Québec.

La demande de viande certifiée biologique continue toutefois de croître et on en voit de plus en plus dans les supermarchés. De la volaille surtout, et un peu de porc et de charcuterie qui proviennent de quelques entreprises à la mise en marché très efficace. Le boeuf, lui, est encore rare.

La ferme Odelil a conquis les supermarchés après avoir fait la tournée des commerces et expliqué pourquoi la viande biologique est différente et coûte plus cher. Son boeuf et son porc se retrouvent maintenant dans une cinquantaine de points de vente dans toute la province, mais surtout en région urbaine, où se trouve la clientèle de la viande de spécialité.

Les produits se vendent tellement bien que le couple a récemment abandonné son site internet puisqu'il ne pouvait plus servir de nouveaux clients. La Ferme Odelil a aussi refusé les offres de certaines grandes tables qui voulaient mettre sa viande au menu. Or, les grands chefs ne sont intéressés que par les plus belles coupes. «Il faudrait dire à nos clients qu'on n'a pas de filets mignons parce qu'ils partent tous pour le Château Frontenac, confie la productrice. Ça n'aurait pas de sens!»

Il faut dire que le boeuf Angus est très populaire depuis quelques années. Les grands restaurants qui en servent le précisent au menu, ce qui lui confère une réputation de viande haut de gamme. Même McDonald's s'y est mis.

«On voit beaucoup d'Angus partout, explique André Lemire. C'est très vendeur, mais il faut se méfier: c'est souvent de la viande qui provient de croisements de races. Ici, on n'a que des boeufs certifiés 100% Angus.»

Le réputé Aberdeen Angus Scotch Beef est originaire d'Écosse. Les bêtes sont plus petites et résistent mieux à un climat froid.

Seulement une quarantaine de producteurs font du boeuf certifié biologique au Québec.

Nombre de producteurs certifiés

Lait de vache 93

Bovins de boucherie 40

Poulet 18

Œufs de poules 15

Agneau 10

Porc 10

Canard 4

Lapin 2

Source: Conseil des appellations réservées et des termes valorisants, 2007

Comment les producteurs bio vendent-ils leur viande?

35% directement aux clients

10% dans les épiceries

10% dans les boucheries

5% par les paniers biologiques

2% dans les restaurants

1% dans les chaînes d'alimentation

Source: Rapport sur la mise en marché des viandes biologiques au Québec, 2004