Je vous écris ce texte les doigts encore collés de caramel. Je viens de manger un morceau de pudding aux prunes et aux pommes imbibé de cette magnifique sauce sucrée. Il en traîne toujours dans le frigo. À côté d'un reste de potage à la courge, d'ailleurs, et d'un morceau de boeuf.

L'avantage, avec les restaurants de Martin Picard, c'est que lorsque vient le temps d'écrire sur les plats qu'on a mangés chez lui, on peut encore y goûter. Chef d'une rare générosité, il offre tellement de nourriture, que ce soit à son restaurant ou à sa cabane à sucre, qu'on n'a presque pas d'autre option que d'en rapporter à la maison une fois le repas terminé.

Étrange idée?

Pas du tout. On prolonge le plaisir.

Est-ce encore nécessaire de présenter ce grand chef qui a révolutionné, réparé, rénové la difficile relation que nous entretenions avec nos traditions culinaires? Probablement pas. Picard, c'est le gars de la poutine au foie gras. Celui qui publie des livres à compte d'auteur où il boxe des carcasses d'animaux et met en vedette des femmes nues qui se baignent dans le sirop d'érable.

Les personnes que son style surdimensionné laisse indifférentes ne sont pas nombreuses. Il y a les admirateurs béats et les «anti» à tout prix.

Je suis de celles qui aiment son savoir-faire technique et sa quête insatiable de saveurs profondément et richement enracinées ici.

Son dernier projet tourne autour des pommes. Dans sa cabane à sucre de Saint-Benoît-de-Mirabel, qui tourne à plein régime au printemps, mais dont on n'entend pas parler le restant de l'année, il a décidé de créer un autre menu autour de ce fruit qui pousse partout dans les environs.

Sauces aux pommes, jus, cidre, morceaux de pomme, pommettes entières... Le fruit se retrouve un peu partout dans le repas. Du cocktail au dessert en passant par tous les plats salés.

Par exemple, la riche soupe de courge gratinée garnie de morceaux d'amaretti - petits gâteaux secs aux amandes - est ponctuée de l'acidité de fines tranches de pommes fraîches ajoutées à la toute dernière minute avant le service, tout comme les morceaux de foie gras. C'est onctueux, extrêmement riche, fondant, décadent. On n'est pas obligé de tout manger.

D'autant qu'en même temps arrive sur la table un crâne de cochon garni de tranches de fromage de tête et de prosciutto produit sur place. Une fois passée la surprise de la présentation spectaculaire, il ne faut pas oublier de prendre le temps d'apprécier la délicatesse des charcuteries.

Pour ceux qui préfèrent les options moins carnivores, on dépose aussi sur la table de jolies mottes de caillé de brebis accompagnées de morceaux de miel en alvéole. Là encore, on ponctue d'un peu de foie gras froid râpé. Pas certaine que ce soit nécessaire, car le foie disparaît sous l'acidité du caillé. J'aurais pris des capucines, du thym. Des saveurs plus végétales, plus poivrées...

Surtout que le plat de pâtes qui arrive ensuite est richissime. On roule des cavatellis et des raviolis farcis au foie gras, bien chauds et baignant dans une sauce aux pommes et au foie gras dans une énorme meule de parmesan creusée pour qu'ils se lient directement au fromage. Le tout produit un plat d'une onctuosité parfaite, dont la richesse nous oblige, cependant, à n'en manger que très peu. Car il y a une suite...

Oui, après cela arrivent des paquets de saumon cuit dans le papier journal, ce qui produit une chair uniformément chaude et fondante. On accompagne le tout d'une sauce aux buccins déglacée généreusement au cidre de glace.

Côté terre, le plat de boeuf - du rôti de palette - se mange un peu à la coréenne. On prend une feuille de salade verte et on la remplit de morceaux de viande, d'une huître à peine cuite et de morceaux de crêpes d'aubergine garnies de pâte de noisette avant de rouler le tout comme on le fait avec les tacos ou les wraps. La combinaison peut sembler bien improbable, mais ça fonctionne à merveille, chaque élément trouvant dans l'autre un faire-valoir efficace, parfois vitaminé et croquant, parfois richement savoureux, parfois onctueux et maritime. Étonnant et franchement délicieux.

La classique tarte aux pommes, elle, est un pur bonheur, notamment parce que le Pied de cochon a un talent remarquable pour préparer une pâte feuilletée parfaitement friable et beurrée.

Pour les becs vraiment très, très sucrés, il y a le pudding dont j'ai parlé plus haut. On l'apporte dans une boîte de conserve chaude qu'on ouvre et vide devant les convives, laissant ainsi couler la sauce au caramel sur les morceaux de pommes et de prunes. À déguster dans la même assiette que le gâteau à la glace, pour que les deux se rencontrent et fondent ensemble.

Et n'oubliez pas de garder une petite place dans votre estomac pour le soufflé pommes et chocolat. C'est très léger. Mais aussi, paradoxalement, sérieusement chocolat. Et juste assez fruité.

Ce repas est à la pomme, mais dans ce dessert comme dans les autres plats, elle y prend le rôle du faire-valoir, elle joue la ponctuation plutôt que la vedette. Un bel exercice de style.

La cabane aux pommes du Pied de cochon

11 382, rang de la Fresnière

Saint-Benoît-de-Mirabel

450-258-1732

cabaneasucreaupieddecochon.com

>Prix: Menu fixe à 50$ par personne, 20$ pour les enfants.

>Concept: Cette table aux pommes installée dans la cabane à sucre de Martin Picard, à environ 45 minutes de Montréal, est ouverte seulement jusqu'à la fin du mois d'octobre. Pour le moment, c'est déjà presque complet. Mais il reste des places le jeudi. Et on peut aussi inscrire son nom sur une liste d'attente.

>Bruit: Élevé

>Carte des vins: Ressemble beaucoup à celle du Pied de cochon, donc soignée, sans lieux communs et remplie autant de crus de petits producteurs originaux qui travaillent des cépages peu connus que de grandes appellations classiques.

>Service: Gentil, efficace. Malheureusement, comme le restaurant tient à faire deux services par soir, on peut soit avoir à quitter la table trop vite à son goût, soit devoir attendre de longues minutes avant de passer à table. Agaçant.PLUS

PLUS: L'originalité et la qualité des plats.

MOINS: Le bruit dans la salle. Le soir où nous y sommes allés, il faisait aussi très chaud.

On y retourne? À la prochaine saison, c'est sûr.