Leurs restos sont bondés. Ils publient des livres de recettes. Ils animent des émissions de télévision. La vie de restaurateur peut faire rêver. Pourtant, la réalité est tout autre. Entre les emplettes, les factures à payer, la cuisine à diriger et la plomberie à réparer, le quotidien des propriétaires de restaurant n'est pas toujours rose. Regard sur l'industrie de la restauration montréalaise.

«Si vous avez de l'argent, n'investissez pas dans la restauration, ce n'est pas rentable!»

Le conseil vient de Marc-André Jetté, chef et copropriétaire du restaurant Les 400 coups, dans le Vieux-Montréal. Pourtant, depuis son ouverture il y a un an et demi, il n'a aucun mal à remplir sa salle à manger. Les clients doivent réserver au moins un mois à l'avance s'ils souhaitent y déguster leur repas du vendredi ou du samedi soir.

Cette affirmation, que M. Jetté a lancée spontanément au cours d'une rencontre dans son établissement, semble néanmoins donner un portait assez juste de l'état de santé de l'industrie de la restauration dans la métropole.

Pour sa part, Ludovic Delonca, l'un des associés du renommé chef Jérôme Ferrer (Europea, Andiamo, Beaver Hall, Birks Café), assure qu'il réussit à bien vivre de la restauration. Toutefois, il travaille quotidiennement de 8h à minuit, ne se rappelle pas à quand remonte sa dernière journée de congé et prend rarement plus d'une semaine de vacances par année. «On ne peut pas dire que l'on vit comme tout le monde. Si nous étions payés à l'heure, nous roulerions en Ferrari», lance-t-il en riant. «La restauration, on peut en vivre, ajoute Normand Laprise, chef fondateur du prestigieux restaurant Toqué! . Mais si vous ouvrez un restaurant et que vous laissez les autres le gérer, oubliez ça!»

Des semaines de fou

Les temps sont durs, confirme François Meunier, vice-président de l'Association des restaurateurs du Québec (ARQ). Oubliez l'image un peu artisanale du cuisinier qui se rend tranquillement au marché choisir ses produits et qui prend le temps de discuter avec le boulanger, le fromager et le boucher. Avec le stress, les soucis financiers, les semaines de fou, la réalité n'est pas toujours rose. En fait, estime M. Meunier, les restaurateurs montréalais vivent une situation difficile. Le problème? «Montréal compte trop de restaurants», lance-t-il sans détour. Il y a 1 restaurant pour 295 habitants, alors que ce ratio est de 1 pour 406 dans l'ensemble du Québec.

La concurrence est féroce dans le milieu. De plus, la hausse des coûts des aliments et de la main-d'oeuvre ainsi que la mise en place, en novembre 2011, du module d'enregistrement des ventes destiné à limiter l'industrie souterraine, figurent au menu des défis avec lesquels les propriétaires de restaurant doivent composer.

Résultat: au Québec, sur 100 restaurants qui ouvrent, 44 fermeront leurs portes au bout de 3 ans, 30 après 5 ans et 15 au bout de 10 ans. Une simple promenade dans certains secteurs de la ville - notamment la rue Prince-Arthur, entre le boulevard Saint-Laurent et le square Saint-Louis - suffit pour constater à quel point les fermetures sont fréquentes. Certains locaux qui ont abrité des restos pendant des décennies changent aussi souvent de vocation et sont transformés en salon funéraire, par exemple, indique le représentant de l'ARQ.

Moins de dépenses au resto

Pour ajouter aux difficultés des restaurateurs, il semble que, par rapport à leurs voisins du reste du Canada, les Québécois s'attablent plus volontiers chez eux qu'au resto du coin.

S'il est vrai que, en général, les prix pratiqués ici sont moins élevés qu'ailleurs au pays, il n'en demeure pas moins que le Québec se classe au huitième rang canadien pour les dépenses annuelles de restaurant par habitant, avec un total de 1248,98$, révèlent les chiffres de l'Association des restaurateurs du Québec. «On est loin de l'image des foodies qui vont toujours chez Toqué! ou aux 400 coups», illustre François Meunier.

Les plus gourmands des Canadiens sont les habitants de la Colombie-Britannique, qui dépensent chacun en moyenne 1811,80$ par année au resto. L'Ontario suit avec une facture moyenne de 1742,12$.

À la recherche de plats réconfortants

Devant ces constats, les restos de la Montréal doivent jouer du coude pour attirer la clientèle. Tartares, mijotés, gratins de toutes sortes: quel genre d'assiette fait saliver les Montréalais ces jours-ci? «En ce moment, on est beaucoup dans la mode bistro», répond d'emblée M. Meunier.

«On est encore dans la vague comfort food, ajoute Hélène Brault, copropriétaire du Jolifou, dans le quartier Rosemont. Les gens recherchent des choses simples, très fraîches, sans fioriture.»

Restauration 101

N'ouvre pas un resto qui veut. «Ce n'est pas parce qu'on aime recevoir nos amis le samedi soir qu'on peut s'improviser restaurateur», illustre François Meunier, de l'ARQ, qui ajoute qu'environ le tiers des Canadiens caresse ce rêve. Il va encore plus loin: la formation en gestion de restaurant n'est pas non plus un gage de réussite. Selon lui, il faut avoir de bonnes connaissances en comptabilité et une bonne résistance au stress. «Les risques sont tellement grands, ajoute Marc-André Jetté. Il faut connaître pratiquement toutes les facettes: un peu de plomberie, un peu de menuiserie, un peu de marketing...»

«Chose certaine, conclut Ghislain Roy, de L'Express, derrière chaque resto qui marche, il y a des gens qui savent compter.»

Quelle est la recette du succès ?

«Je ne sais pas s'il y a une recette. La télé et les médias donnent un gros coup de main, mais après il faut avoir quelque chose à présenter dans l'assiette.» - Marc-André Jetté, chef et copropriétaire du restaurant Les 400 coups

«Il faut, quand le client sort de table, qu'il oublie le total de la facture et ne retienne que le moment.» - Ludovic Delonca, associé de Jérôme Ferrer, (Europea, Andiamo, Beaver Hall et Birks Café)

«Nous sommes un cas particulier. La recette de notre succès, c'est la constance. Nous avons a beaucoup d'habitués, et le but, c'est qu'ils disent à leurs amis de venir. Ça va bien au-delà de la mode.» - Ghislain Roy, chef du restaurant L'Express

«L'accent doit être sur la cuisine et sur le service. Il faut éviter de servir la cuisine des autres, de la cuisine empruntée.» - Normand Laprise, chef fondateur du restaurant Toqué!