Si deux chefs connus et officiant dans un restaurant renommé du paysage montréalais n'avaient pas tout quitté pour ce petit comptoir, on n'en aurait peut-être jamais parlé.

Car le labo culinaire FoodLab de la Société des arts technologiques, avouons-le, ressemble plus à un projet, à une table chantier nichée à côté d'une salle de spectacle qu'à un véritable restaurant en soi.

Mais quand on a entendu dire que l'ancien chef du Laloux, Seth Gabrielse, et la pâtissière Michelle Marek avaient laissé la vénérable institution de l'avenue des Pins pour aller expérimenter à l'extrême sud-est du Quartier des spectacles, notre curiosité venait d'être piquée.

Vont-ils inventer une nouvelle façon de faire de la restauration? se sont demandé les observateurs. Car n'est-on pas à la SAT pour créer? Le Souk@SAT, par exemple, qui a lieu juste avant Noël, est une sorte de mini-Salon des métiers d'art totalement renouvelé. Et l'été dernier, n'est-ce pas la SAT qui a choisi de remuer les conventions et d'inviter des vendeurs de cuisine de rue dans le petit parc voisin, la place de la Paix, juste en face du Monument-National? D'ailleurs, le mandat premier de la SAT est de pousser la créativité le plus loin, avec les nouveaux outils numériques dont on dispose.

Le labo du FoodLab est effectivement un lieu différent. L'espace n'est pas fermé: c'est plutôt une zone à aire ouverte, au dernier étage de l'immeuble de la SAT, sur Saint-Laurent, juste au nord de René-Lévesque. On y accède par un escalier absolument spectaculaire, fait de béton transpercé laissant passer la lumière. On a l'impression, en montant, de marcher sur des étoiles. C'est époustouflant.

Tout en haut, on voit des tables basses et d'autres surélevées, façon bar, et une cuisine totalement ouverte, délimitée par des comptoirs. C'est là que travaillent Seth Gabrielse et Michelle Marek. L'installation est presque rudimentaire. Et il n'y a qu'eux dans cet enclos, avec leurs cuisinières électriques maison. C'est là qu'ils cisèlent les herbes, compotent les fruits, taillent les viandes, troussent les volailles et dressent les assiettes. Bref, c'est là qu'ils font tout, à eux deux.

Et quand on commande sa nourriture, au bar à vin  il n'y a pas de service aux tables , c'est eux-mêmes ensuite qui viennent porter les plats!

Que mange-t-on?

Des choses simples, mais savoureuses qui respectent rigoureusement le rythme de la nature et de ses saisons. Le menu est court. Et il change régulièrement en suivant des thèmes. Lors d'un récent passage, pendant les Fêtes, soupe aux pois et tourtière étaient au rendez-vous. La seconde fois, le menu avait été remplacé par un exercice sur «l'hiver français», avec assiette de pommes de terre boulangère, salade pommes et noisettes, poulet de Cornouailles, soupe à l'oignon gratinée et far breton aux pruneaux.

Tout est bon, parfois excellent, avec de beaux équilibres entre la richesse salée du «comfort food» et la fraîcheur de salades et autres crudités. Les saveurs sont souvent bien approfondies. La soupe à l'oignon, par exemple, est faite d'un riche bouillon un peu sucré, bien parfumé au thym, tandis que l'assiette de poulet se démarque par le moelleux de la volaille, intelligemment mis en relief par un accompagnement combinant salade, pommes de terre en purée et pomme fraîche.

En revanche, l'assiette de pommes de terre boulangère, faite de fines tranches de tubercule, est lourde, sans finesse. On s'ennuie du gratin dauphinois et on se dit qu'il y a des limites dans la réhabilitation de la cuisine ménagère. La salade, elle, est enrobée d'une vinaigrette bien structurée et se plaît avec les noisettes grillées, ingrédient trop peu utilisé. Toutefois, la verdure est un peu ennuyante, pour ne pas dire fatiguée.

Au dessert, le far breton se démarque surtout par sa simplicité. Il est bien fait, pas trop cuit, bien tendre. Mais là encore, il manque à ce gâteau sans opulence la touche, l'ingrédient magique  un peu plus de rhum, un peu plus de pruneaux, une épice... , ce «plus» un brin excentrique essentiel à la réinvention moderne de la cuisine économe, si on veut nous faire réellement craquer.