L'une des plus intéressantes innovations des dernières années ne concerne pas la cuisine italienne, mais bien la japonaise, à travers l'apparition, de notre côté du monde, des bistros japonais qu'on appelle là-bas les isakaya.

On y va pour une bouteille de saké et pour grignoter des petits plats avec les amis. C'est simple, pas du tout prétentieux et, quand c'est bien fait, c'est une expérience qu'on veut recommencer pratiquement chaque semaine. Surtout si l'on ne connaît pas trop la cuisine japonaise, qu'on réduit bien souvent à ses poissons servis crus. Les personnes peu sensibles à cette fraîcheur et à ce dénuement culinaire pourraient être agréablement surprises et séduites par les spécialités des isakaya, souvent empreintes d'une énergie assez masculine, faites de précision et d'une sorte de tension qu'exigent la hâte, la vitesse.

On trouve ces qualités dans l'un des derniers-nés en ville, l'Imadake, du côté ouest du centre-ville, un resto-pub assez vaste et arrangé de manière plutôt originale (et sombre) autour d'une cuisine complètement ouverte sur la salle. C'est d'ailleurs l'une de ses qualités: on peut pratiquement entretenir une conversation avec le chef pendant qu'il apprête, taillade, asticote, roule, découpe.

On change vraiment de registre à l'Idamake. Fini la délicatesse et la quiétude, le sentiment éthéré généralement associé aux restaurants nippons habituels, des lieux souvent artificiellement sereins. Ici, ça bouge. Ça rugit, tout le monde s'agite, serveurs, clients, cuisiniers, plongeurs. On entend le bruit des assiettes qu'on pose à la hâte sur les tables, les bouteilles atterrir à leurs côtés et se heurter aux verres de saké, les cris des serveurs chaque fois qu'un client entre ou sort, le fond musical, la jeune clientèle qui rit et s'esclaffe. Ce n'est pas dérangeant, mais ce n'est pas fait pour les rencontres intimes.

Au menu, il y a cette cuisine vive, un peu monosyllabique qu'on a envie de dévorer parce que ça semble si sain, si aisé. Du poisson, sous plusieurs formes et appareils - poêlé, vapeur -, quelques trucs viandeux, de la langue ou des tranches de boeuf, des salades surprenantes et originales. Et de la friture - les agemono - ou les grillades - les yakimono -, toutes plus affriolantes les unes que les autres. On trouve aussi ces soupes ramen qui sortent du placard des cuisines ouvrières japonaises (non! il n'y pas de boeuf de Kobe ici) et qui se réinventent à l'aide de la «bedaine» de porc, les oeufs marinés, les racines de lotus, et même un brin de tempura ajouté à la dernière minute comme un contrepoint croustillant à tout ce liquide. C'est parfaitement réjouissant et, surtout, nourrissant (même si on se sent léger comme une plume après) pour moins de 13$ au lunch.

Nos choix: de la langue de boeuf grillée, légèrement marinée au mirin (vin acidulé et doux) et tranchée finement, on dirait presque du filet mignon. Du tataki ensuite, boeuf cru et pressé, traité au poivre, avec un peu de sésame, du saké, tout est juste et impeccablement présenté. Ce n'est pas de la grande cuisine, mais c'est de la cuisine précise, coupante dirait-on, comme une lame de rasoir. La salade de daikon, ce gros radis blafard, est présentée avec de la ciboulette. On oublie de la napper d'une émulsion au miso et ça nous paraît inoffensif, mais dès qu'on en glisse un mot au serveur, voilà que le chef se confond en excuses et que le plat réapparaît, réanimé subitement, transfiguré. Et c'est délicieux.

Au chapitre des poissons, de la morue noire poêlée à la perfection et marinée au miso rouge, splendide travail. Puis une sorte de crêpe aux fruits de mer, dans laquelle il y avait de tout, des crevettes, du poisson à chair blanche et à la texture presque crémeuse, du crabe, tout cela empilé et assemblé avec un peu de mayonnaise japonaise, un brin citronnée. C'est copieux et hors du commun.

En finale, une sorte de gâteau au fromage vert lime (au thé matcha), nappé d'un peu de confiture (au goût vaguement artificiel de fraises), kitsch à mort! En un mot: on adore. Pas compliqué, ce genre d'endroit nous emplit de joie et d'allégresse!

Imadake

4006, rue Sainte-Catherine O.514-931-8833

Prix: Tous les plats de style tapas sont facturés entre 3$ et 15$ et les portions sont très raisonnables. Comptez environ 150$ pour un repas copieux pour deux, une bouteille de saké, les taxes et le service.

Faune: Elle est jeune, cosmopolite, bruyante, effrénée, c'est beau à voir et à entendre. Et il y a aussi de jeunes Japonais en chaussures roses!

Service: Fait par de jeunes hommes en short et baskets et de jeunes filles en jupe d'écolière et blouse blanche. Les fantasmes classiques des hommes d'affaires, quoi! En prime, il y a encore de la place pour le sourire et la politesse.

Vin: Oubliez le vin rouge, optez pour le saké, froid ou chaud, dont on propose une dizaine de variétés (certaines américaines, lisez les étiquettes si vous voulez du japonais).

On y retourne? En courant!

+ La totale! On aime la cuisine, l'ambiance, les prix.

- Le système de ventilation fait un peu défaut, les odeurs de friture risquent de s'accrocher à vos manteaux. Venez en jeans et en t-shirt. Et les petites chaises en bois, évoquant des boîtes à beurre anciennes, sont inconfortables. Préférez la banquette.