Des restaurants comme Nonya, il n'y en a pas des masses en ville. De toutes les tables «ethno-chics», celle-ci est certainement la plus soignée, la plus imprévisible, la plus furieusement moderne. C'est simple, ici, vous êtes un peu aux premières loges de l'avenir.

Mettons tout de suite les choses au clair, les patrons ont décidé de préparer la cuisine de leur pays, l'Indonésie, en admettant qu'il fallait faire des compromis. Mais pas de ceux auxquels on s'est habitué dans la plupart des lieux du même genre: cuisine souvent pasteurisée, vidée de piments et de sens, adoptant une bonhomie béotienne pour faire plaisir à une clientèle en mal de souvenirs multicolores (bâillements!). Ils ont plutôt adopté le canevas classique, les ingrédients de base d'une certaine cuisine indonésienne, une idée pudique de la présentation, une palette aromatique très prévisible (pour qui connaît cette cuisine bien entendu).

Mais ils lui ont superposé une manière de faire les choses à l'occidentale qui ne dénature nullement la cuisine, la mettant plutôt en valeur avec une présentation plus serrée. En un mot, ils ont gardé la trame asiatique et l'ont embellie avec de belles idées bien françaises. Le résultat est rien de moins que spectaculaire, tant à l'oeil qu'en bouche. Et dire qu'en cinq années d'existence et de travail réfléchi, ces jeunes patrons sortis de l'École hôtelière de Lausanne en Suisse, ont mis au monde un lieu de gastronomie unique au Québec et peut-être en Amérique du Nord.

Prodigieux raffinement

Le menu inscrit au tableau noir propose chaque soir trois ou quatre entrées et autant de plats. Parmi ceux-là, on trouve les mêmes servis en portions réduites à la «table de riz» le risjtaffel, héritage de la mixité entre les colons hollandais qui ont dominé les îles pendant plus de 200 ans et les centaines d'ethnies qui composent la nation indonésienne moderne. L'intérêt de choisir ce genre de formule (outre que ce n'est pas bien cher à 40$ par personne pour plus d'une douzaine de petits plats, tous d'un prodigieux raffinement) reste sans doute celui de découvrir l'une des cuisines d'Asie les moins familières.

Le repas commence donc avec des petites entrées de rouleaux frits, remplis de chou épicé, de pousses de bambou et de crevettes hachées, mais d'une palette aromatique singulière où domine le basilic, le galanga, la citronnelle en bâton, et toujours, le jus de lime en guise d'acidulant. On nous apporte ensuite, sur un rythme un peu inégal, la salle s'étant remplie de retardataires ce soir-là (semant le désarroi dans le service), des crevettes sur un bâton, laquées d'une surprenante émulsion noire et aillée, une salade de chou cuit, de tofu et d'une riche sauce à base de cacahuètes, de sucre de palme et de soja (le gado-gado qui pourrait bien être «le seul» vrai plat national), un poisson cuit dans un bouillon parfumé au curry jaune et cuit dans une feuille de bananier, une soupe à base de jus de tamarin et de noix de coco.

Effluves surprenants

Puis, les plats continuent d'arriver les uns après les autres dans une succession qui laisse derrière elle, des effluves surprenants et follement exotiques. Nous nous sommes également régalés de calmars frits d'une délicatesse de dentelle, les petites bouchées tendres et juteuses, croustillantes sous la dent. On les trempait dans une sauce fortement relevée de jus de lime, de sucre, de piments et d'une multitude d'aromates. Le rendang de Sumatra, un ragoût de boeuf longuement mijoté jusqu'à ce que la sauce soit réduite à un filet d'huile colorée par des douzaines d'épices, à la façon d'un curry, fond en bouche malgré la tenue de la viande. Et nous pourrions encore nous attarder sur chaque plat, en soi, le résultat pour chacun, d'un travail d'orfèvre.

La finale, résonne encore dans nos têtes une semaine après coup: un pudding au riz noir dans une crème à la noix de coco, une crème brûlée au pandan, une feuille tropicale qui laisse à la crème un parfum un peu vanillé et un peu herbacé, et une extraordinaire glace à la mangue et à la noix de coco tout en relief. Le tout présenté de manière élégante et sobre sur de la faïence blanche, laissant plutôt aux ingrédients le soin de parler pour eux-mêmes.

Remarquable maison!

NONYA

151, avenue Bernard Ouest

514-875-9998


On y retourne? Comment résister?

Prix: les formules comprennent trois plats et sont facturées autour de 27$. Autrement, la rijstafel est proposée à 40$ ou 45$ par personne, pour deux uniquement et c'est de loin, la meilleure idée si l'on a envie de se payer la traite.

Faune: des voisins, des potes, des gens décontractés et sociables.

Décor: tout simple, blanc cassé, un peu dénudé mais charmant, et habillé de quelques beaux objets de là-bas, et même un magnifique parasol de parade rutilant de dorures.

Service: si la patronne vous sert, vous serez aux anges, en revanche le reste de l'équipe tire un peu de la patte. Surtout les soirs où c'est occupé.

Vin: rien de bien spécial, une petite carte où rien ne domine, sinon la maladresse.

+ : l'impression d'être entré dans un lieu feutré et confortable. On aurait presque envie de s'étendre sur la belle banquette de bois.

- : une serveuse impertinente un soir de tempête et le rythme de service qui a bien failli avoir raison de notre appétit. Heureusement, il y avait ces petits calmars divins, ces brochettes d'agneau marinées, ces douceurs à base de crème de noix de coco...