Depuis qu'il est servi avec grande cérémonie dans plusieurs restaurants très cotés de chez nous et d'ailleurs, le tofu se défait de son étiquette grano et nous rappelle la noblesse de ses origines asiatiques. Rares sont les aliments aussi polyvalents, démocratiques et riches en symbolique.

Tout aurait commencé en Chine, pendant la dynastie des Han (206 av. J.-C. à 220 apr. J.-C.). Mais ce n'est qu'au XXe siècle que le dou fu (tofu) devient un aliment de consommation courante.

La fève de soya était considérée comme une des cinq plantes sacrées de l'agriculture et de l'alimentation chinoises. Le tofu a été adopté par les autres pays d'Asie - Japon, Corée, Vietnam, etc. - beaucoup plus tard. Il n'a d'ailleurs pas fait son entrée en Thaïlande avant les années 30. L'Amérique a été lente à adopter le soya dans l'alimentation humaine. La fève était surtout réservée au bétail. C'est dans les années 70 que le tofu s'est associé au mouvement «peace and love», d'où le stigmate grano! Le journal USA Today l'a même consacré «aliment le plus détesté» des États-Unis en 1986.

En 2013, bien qu'il subisse encore les railleries de certains carnivores, le tofu reprend sa juste place dans notre alimentation et parade même dans les hautes sphères de la gastronomie. Le grand critique américain Jonathan Gold (prix Pulitzer en 2007) a récemment écrit que le plat japonais qui l'avait le plus marqué au cours des dernières années était un bol de tofu chaud préparé directement à la table, chez Robata Jinya.

Ce restaurant de West Hollywood, à Los Angeles, n'est pas le seul à préparer son tofu maison. Morimoto (New York et Philadelphie) le fait également.

Plus près de chez nous, le chef Kazu, du populaire restaurant montréalais portant son nom, sert son tofu maison tous les dimanches, avec une simple garniture de sauce soya.

À l'occasion du menu japonais, le Foodlab de la Société des arts technologiques de Montréal a également tâté du soya.

Quant à Antonio Park, il préparait déjà du tofu ferme maison à l'époque où il travaillait dans les cuisines du club privé 357c. Aujourd'hui à la barre de Park, dans Westmount, le chef d'origine coréenne inscrit parfois la spécialité à son menu.

Bien sûr, on peut aujourd'hui acheter du tofu (soyeux, ferme, extraferme) dans les supermarchés québécois. À Montréal et à Brossard, les grandes épiceries chinoises consacrent même des frigos entiers au soya et à tous ses dérivés.

Alors, pourquoi le faire soi-même? Pour les mêmes raisons qu'on fait du pain, du yogourt, de la ricotta ou des pâtes fraîches. Parce que ça nous donne un sentiment de compétence. Parce que ça nous permet de savoir exactement ce qu'il y a dedans. Dans le cas du tofu, la fraîcheur est un argument convaincant. Au Québec, contrairement à certains coins d'Asie, nous n'avons pas accès à du tofu artisanal et frais du jour dans les épiceries.