Des Français qui s'excusent pour leur accent, qui s'extasient sur les splendeurs et le dynamisme de Montréal, ville pour laquelle ils ont eu «un gros feeling tout de suite», c'est le monde à l'envers ici à la SAT. La première journée de l'étape montréalaise du Omnivore World Tour était fort réussie, tant sur le plan technique qu'«artistique».

Dans la Satosphère, ce grand dôme destiné aux expériences multisensorielles, nous avons pu assister à six démonstrations culinaires fluides, animées avec une belle sensibilité par Sébastien Demorand, critique culinaire vedette. Les gros plans d'ingrédients, de plats et de chefs étaient projetés à 360 degrés.

Quel spectateur québécois n'a pas éprouvé, même une petite fierté, de voir les chefs étrangers découvrir, manipuler, adorer, vanter les produits de chez nous: pâtissons, chou-rave, feuilles de courgettes, tomates, carré de porc (Porcmeilleur), miels, salicornes et autres cerises de terre.

Une des grandes révélations de la journée: Gita Seaton. On connaît bien sûr son restaurant, le diner Nouveau Palais. Son tout nouveau camion cantine, le bien-nommé Winneburger, commence à faire jaser. La chef, en revanche, reste dans l'ombre, humble et discrète. Elle a la générosité de mettre son talent et sa formation au profit d'une cuisine simple, réconfortante, accessible au plus grand nombre.

Pour sa Démo culinaire, Gita Seaton a décliné sa fameuse sauce fromage - dont elle prépare chaque semaine pas moins de 18 litres - en quatre recettes: le classique mac 'n' cheese, ses frites en sauce, les plus «gastronomiques» huîtres à la manière Rockfeller (avec foam de sauce au fromage) et le décadent magret de canard sur toast, avec sauce et bacon. Son approche décomplexée, tout à fait assumée, à la cuisine un peu «trash», mais surtout délicieuse et satisfaisante, a conquis l'auditoire.

Qui plus est, il y avait quelque chose de franchement sympathique dans le «sandwich» composé par les présentations de Marc-André Leclerc (Grumman 78), de Peter Nilsson (La Gazetta, Paris) et Gita Seaton. Entre deux cuisines roboratives, un Suédois tout en retenue et en cuisine saine et végétale. Ce fut une journée de contrastes.

Après le «merveilleux supplice» de ces présentations matinales, les spectateurs se sont naturellement rués sur les camions cantines à l'extérieur : burgers du Winneburger, tacos Grumman et crème molle de Monsieur crémeux pour dessert.

Après la pause se sont succédé Gregory Marchand (Frenchie, Paris), Patrice Demers (Les 400 coups) et le tandem Alex Cruz (Société Orignal) et Derek Damman (ex-DNA, future Maison publique). Avec trois recettes colorées empreintes de fraîcheur, le premier nous a démontré pourquoi il est quasi impossible d'avoir une table dans son restaurant! Notre pâtissier vedette nous a pour sa part rappelé la complexité de ses desserts, qui en bouche sont pur et simple bonheur.

Il faut à tout  prix accorder un paragraphe à Alex et Derek, qui n'ont peut-être pas livré une performance aussi fluide qu'à Omnivore Paris, mais dont l'intervention inspirée sur l'agriculture québécoise est de plus en plus poussée et pertinente. Cultiver le fameux champignon de type huitlacoche au Québec? Composer une salade uniquement avec des légumes de mer? Faire des câpres avec des baies de genièvre? Les possibilités sont infinies. Grâce à des rêveurs fous et engagés comme Alex, Derek et tous leurs «fournisseurs», le Québec agricole est en train de sortir de son hibernation.

Premier «Maudit souper»

Vendredi soir avait lieu le premier d'une petite série de cinq «Maudits soupers». Marc Cohen et Peter Nilsson travaillaient à quatre mains au Lawrence. Bien qu'on ait eu l'impression que la rencontre n'a pas vraiment eu lieu entre les deux chefs, le choc des cultures culinaires a donné un repas intéressant. Plus intellectuel dans le cas du Suédois à Paris : sublimes fraises vertes avec barigoule de légumes et bettes à cardes tombées dans un beurre de brebis fumé, puis en pré-dessert, sa fameuse «tomate pleine de terre». Tout simplement savoureux dans le cas du «Brit» à Montréal : raviolis d'abats, tatin aux pêches. Bref, un début très prometteur pour Omnivore à Montréal.

Aujourd'hui et demain, on peut voir les présentations des frères Folmer (Couvert Couvert, Belgique) de Seth Gabrielse et Michelle Marek (Foodlab), Cyril Kérébel (la Qv), Simon Mathys (Bar et boeuf), Jérôme Bigot (Les Grès, Lindry), Stéphanie Labelle (pâtisserie Rhubarbe), Samuel Pinard (La salle à manger), Marc-André Royal (Le St-Urbain), Martin Juneau (Pastaga), John Horne (Canoe, Toronto) et Marc Cohen (Lawrence). Il reste quelques places pour le Maudit Souper du Foodlab, demain soir. Renseignements : sat.qc.ca

Photo Édouard Plante-Fréchette, La Presse

Patrice Demers