De passage en Abitibi-Témiscamingue pour leur reportage sur Ville-Marie, publié dans notre section Voyage, notre équipe de reporters en a profité pour voir ce qui poussait de bon dans ce coin du Québec. Elle a rencontré quelques éleveurs de boeufs d'exception et découvert des produits uniques.

Un boeuf nourri exclusivement à l'herbe? Les biologistes vous diront que cela tombe sous le sens. Or, on n'en trouve presque jamais à l'épicerie, car l'industrie s'est habituée à engraisser les animaux avec du grain pour qu'ils croissent plus, plus vite. Des fermiers de l'Abitibi-Témiscamingue ont décidé de faire un retour aux sources. Une aventure risquée qui commence à porter ses fruits.

Yves Marcoux n'est pas un éleveur comme les autres: il est fier, en ce mercredi matin de juin, d'avoir envoyé deux boeufs de quelque 950 livres à l'abattoir. La plupart des producteurs crieraient à l'hérésie, eux qui attendent que leurs boeufs aient atteint les 1200 à 1400 livres et leur rapportent beaucoup plus en pièces détachées dans les comptoirs des bouchers de la province.

Mais Yves Marcoux, dont la ferme est située à Nédélec, à 40 minutes au nord de Ville-Marie, fait partie, avec cinq autres fermiers de l'Abitibi-Témiscamingue, du projet «VitaliPré» lancé par des chercheurs de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) en 2002. Ces producteurs ont fait le pari de commercialiser des animaux nourris exclusivement de lait maternel et d'herbe, qui ne connaîtront jamais les parcs d'engraissement, les moulées, le grain, les hormones de croissance et les antibiotiques préventifs.

Leur but premier était d'abord économique: dans un créneau où la concurrence est féroce, particulièrement de l'Ouest canadien et des États-Unis, les fermiers se devaient de trouver un moyen de se distinguer avec un produit original. Or, le Témiscamingue est réputé pour la qualité de son herbe, particulièrement riche en sucre, au gré d'un microclimat où les journées chaudes et ensoleillées suivent des nuits très fraîches. Ce fourrage exceptionnel permet aux animaux d'engraisser suffisamment - de 2 livres par semaine en moyenne après le sevrage -, pour atteindre naturellement près d'une demi-tonne en un an, sans supplément alimentaire.

Les résultats sont encourageants. Si la rentabilité reste à être démontrée, une foule d'avantages se manifestent déjà. Le VitaliPré est sensiblement plus maigre (6% moins gras par rapport au boeuf d'élevage traditionnel), est beaucoup plus riche en gras oméga-3 (7,5 fois plus) et présente un meilleur équilibre entre les oméga-3 et oméga-6. «L'utilisation de grain favorise la création de gras saturés, ceux associés dans les viandes rouges aux maladies cardiovasculaires. On ne prétendra pas que notre viande est sans gras. Mais pour quelqu'un qui doit faire attention à sa consommation de viande rouge, on offre un produit très intéressant», dit fièrement Pierre Labelle, gestionnaire de VitaliPré.

Les pièces sont aussi de moindre gabarit, ce qui permet de surveiller le volume de sa consommation de viande. «Un T-Bone, ça ne se coupe pas en petites portions: c'est l'os qui donne le goût! Les nôtres sont plus petits, d'une taille parfaite», renchérit Carole Lafrenière, agronome de l'UQAT.

Des difficultés

L'élevage de boeuf VitaliPré demande un peu plus de soins. Seuls les meilleurs individus des cheptels, les plus sains et les plus gros, seront retenus. Si un animal est malade - et reçoit des antibiotiques -, il sera exclu. Pour que le projet soit rentable, et parce que les animaux sont près de 30% plus petits que les autres (les animaux sont abattus au plus à 12 mois pour que la viande soit le plus tendre possible), il faudra aussi trouver des moyens de valoriser davantage chaque carcasse, notamment en créant rapidement des plats cuisinés à valeur ajoutée et des recettes utilisant des pièces «moins nobles», comme l'épaule ou la langue.

Les fermiers doivent aussi mieux gérer le fourrage. L'herbe doit être récoltée un peu plus tôt que la normale, quand elle atteint son pourcentage maximum de sucres. «Ça marche bien quand la nature est avec nous, mais si l'été est particulièrement pluvieux, ce sera dur de faire les foins au bon moment», explique Carole Lafrenière. Et une herbe moins riche ne permettra pas de soutenir une croissance suffisante des bêtes.

«Mais il y a aussi des avantages: les éleveurs ont besoin d'investir moins dans le béton et les infrastructures, puisque les animaux sont abattus plus jeunes», dit M. Marcoux, qui laisse même ses animaux respirer le grand air, été comme hiver.

«C'est difficile à mesurer, bien sûr, mais je dirais aussi que nos animaux sont plus heureux», avance Yves Marcoux. Les veaux restent plus longtemps auprès de leur mère que la normale et ne sont sevrés qu'à 7 ou 8 mois.

Goût

Malheureusement, à l'heure actuelle, se mettre du boeuf VitaliPré sous la dent n'est pas une mince affaire: on trouvera plus facilement du caviar ou même de l'autruche à l'épicerie. Six animaux sont abattus toutes les deux semaines, point à la ligne.

À ce jour, un seul et unique marchand en vend à l'extérieur des limites de l'Abitibi-Témiscamingue, la boucherie Les Épicurieux, à L'Île-Bizard. Les premiers kilos y ont été livrés en avril. Ils étaient très attendus - le commerce en réclamait depuis cinq ans! - et se sont vite envolés.

«Je ne croyais pas que les consommateurs constateraient une différence, mais ils ont aimé son goût de viande plus franc, moins gras», explique le boucher Pascal Hudon, derrière son comptoir où les steaks de VitaliPré apparaissent nettement plus rouges et maigres que ceux issus d'élevages plus traditionnels. Les atouts santé et la traçabilité du VitaliPré attirent aussi ses clients, qui sont prêts à payer jusqu'à 15% plus cher que son équivalent vendu dans les supermarchés. «Aujourd'hui, les gens veulent savoir ce qu'ils mangent, ils veulent encourager l'économie locale», dit Pascal Hudon.

Cela dit, le boeuf VitaliPré pourrait se retrouver sous peu au menu de quelques restaurants de Montréal. Le chef Ronnie Lysight de l'Abitibi a été mandaté pour créer des recettes et des produits transformés mettant en valeur le boeuf VitaliPré. Il est venu dans la métropole en juin dernier vanter ses produits. Iannick Lessard, du bristro Lustucru, avenue du Parc, a été agréablement surpris de la qualité de la pointe de surlonge qui s'est retrouvée sous sa lame: «C'est une viande parfaite pour le tartare [la spécialité de la maison], très, très maigre, d'une belle couleur et qui se conserve très bien.

«Son goût est légèrement sucré. La différence est subtile, tout le monde ne la verrait pas, mais c'est dans les détails qu'on voit la qualité des produits, ajoute-t-il. Et c'est toujours agréable de travailler avec des produits mieux gérés, plus écoresponsables.»

Parce que la viande est particulièrement maigre, la cuisson du boeuf VitaliPré doit faire l'objet d'un peu plus d'attention. Contrairement aux viandes persillées, comme le boeuf Angus, «le VitaliPré pardonne peu», dit Ronnie Lysight, qui conseille vivement de bien le tempérer une quinzaine de minutes avant de le saisir à feu vif, en veillant bien à ne pas trop le cuire et à le laisser reposer quelques minutes avant de le servir. Un peu plus de soin pour une vache qui en a aussi reçu un peu plus... ça aussi, ça tombe sous le sens.

Liste des points de vente VitaliPré en Abitibi-Témiscamingue: www.vitalipre.com/pointvente.html

Boucherie Les Épicurieux, 389, rue Cherrier, L'Île-Bizard, 514-626-7256