Juliette Brun est née au Brésil au sein d'une famille française où les affaires et le chocolat occupaient une place de choix. Le hasard et des droits de scolarité peu élevés (!) l'ont mené jusqu'à Montréal, où elle a fondé sa propre famille, dont la vie est aujourd'hui rythmée par... les affaires et le chocolat!

Juliette Brun m'ouvre grand la porte du Juliette et Chocolat, boulevard Saint-Laurent, angle Prince-Arthur. Elle porte des cuissardes, un short noir et une blouse de corsaire sur des cheveux coupés carrés. Elle fait au moins 6 pieds. Et son voltage, si on pouvait le mesurer, égalerait facilement celui de monsieur 100 000 volts, tant cette jeune Française née au Brésil et mère de trois marmots est énergique, enthousiaste et volubile. À cet égard, les Juliette et Chocolat ressemblent bien à leur propriétaire. Ce sont des lieux lumineux, aérés, animés et modernes, avec une petite touche ancienne dans le mobilier blanc, des toques rouges pimpantes sur la tête des serveurs et toutes les déclinaisons possibles de chocolat au menu.

«Le chocolat, dit Juliette, c'est vraiment un truc de famille. Je ne me souviens pas d'un seul repas qui ne se terminait pas avec du chocolat. Je vois encore ma grand-mère desservir la table et manger les miettes de chocolat pour ne pas les perdre», ajoute-t-elle en mimant le geste, presque déçue qu'il n'y ait pas de vraies miettes de chocolat devant elle.

Aucun doute: le chocolat coule dans les veines de la famille de Juliette. Le sens des affaires aussi. Le père de Juliette est un économiste et haut fonctionnaire, prêté par le gouvernement français au FMI et à la Banque Mondiale. C'est ce qui explique la naissance de Juliette au Brésil, son adolescence à Washington, où elle a rencontré Lionel May, un jeune Français qui rêvait d'être cinéaste et dont le père était démographe pour la Banque Mondiale. Au moment d'entreprendre leurs études universitaires, comme bon nombre de Français vivant aux États-Unis, Juliette et Lionel ont opté pour Montréal à cause des droits de scolarité... moins élevés.

C'est à Montréal que Juliette et Lionel sont devenus un couple. À Montréal aussi qu'après leurs études, ils ont conclu de lancer leur propre petite entreprise. Ils n'avaient pas encore d'enfants. Leurs parents étaient prêts à leur prêter de l'argent. Et le coût raisonnable des loyers à Montréal rendait la chose beaucoup plus facile qu'à Lyon, Bordeaux ou Paris. «Au départ, on pensait monter un truc en alimentation à la retraite, mais c'était le meilleur moyen de ne jamais le faire. Alors on a décidé de mettre nos aspirations de carrière de côté. Je suis retournée en France suivre un stage en crêperie et en chocolaterie, et après, on a plongé.»

Je me souviens d'un jour, en 2003, où je suis entrée dans le tout premier Juliette et Chocolat, rue Saint-Denis, en face du théâtre du même nom. J'avais trouvé le chocolat chaud trop épais et conclu que le concept était bizarre, un brin superflu et voué à plus ou moins brève échéance à l'échec. Mon analyse aurait sans doute été plus pertinente si, comme Juliette, j'avais étudié en économie et finance. J'aurais compris que ce concept bizarre était en réalité la meilleure façon de se démarquer et de créer un produit de niche.

À l'époque, le marché des fournisseurs de chocolat commençait à s'ouvrir et à se diversifier au Québec. Le premier Juliette et Chocolat a profité de ce vent de changement chocolaté. Le café, conçu, décoré et rénové par les propriétaires, a connu un succès instantané. Juliette aurait pu s'en contenter, d'autant plus qu'elle venait d'avoir un premier enfant. Mais, en plus d'avoir une dent très sucrée, Juliette avait de grandes ambitions. «Ce qui m'intéressait, ce n'était pas juste de tenir un café au jour le jour, quoique je puisse comprendre qu'on n'ait envie que de ça. Il reste qu'à cause de mon tempérament, de mes études et de l'influence de mon père, ce qui m'intéressait, c'était le développement de l'entreprise et de voir jusqu'où on pouvait aller avec la marque.»

Un nouveau Juliette et Chocolat a vu le jour avenue Laurier, juste comme Juliette accouchait de son deuxième enfant. La déco s'est raffinée. Les toques rouges achetées autrefois dans un magasin d'uniformes étaient maintenant faites sur mesure. Et par souci d'efficacité, la production des desserts, des glaces et des chocolats a été déménagée dans une vaste unité, à l'angle du boulevard Décarie et de la rue Jean-Talon. En 2010, Juliette a mis au monde un troisième enfant et ouvert un nouveau Juliette et Chocolat, à l'angle de Saint-Laurent et de Prince-Arthur. L'établissement est le navire amiral de la marque. Tous les soirs, il est bondé de jeunes, en couples, en petits comités ou en grandes tablées, qui se délectent de chocolat. À une époque où le régime est une religion et le moindre dessert, un anathème, le succès des Juliette et Chocolat tient presque du miracle. Juliette croit savoir pourquoi: «Ce n'est pas parce qu'on surveille sa ligne qu'on ne peut pas se faire plaisir de temps en temps. C'est ce qu'on dit à nos clients: faites-vous plaisir, prenez votre temps, demain vous pourrez toujours aller vous entraîner et brûler les calories, en attendant, profitez-en. Et pour ceux qui veulent être raisonnables, il y a toujours la fondue au chocolat amer avec des fruits!»

Juliette ne sait pas encore si elle aura un quatrième enfant, mais elle sait déjà qu'il y aura d'autres Juliette et Chocolat à Montréal et ailleurs. En attendant, elle vient d'entreprendre une carrière à la télé avec l'émission Le chocolat selon Juliette diffusée tous les lundis à 19h30 sur Zeste. L'animatrice n'est pas aussi aguerrie et à l'aise que l'entrepreneure. Mais Juliette apprend vite. Le chocolat fera le reste.

Photo Olivier Pontbriand, La Presse

Cinq adresses gourmandes de Juliette



1 La maison du macaron: 4479, rue de la Roche.

2 Restaurant L'Express: 3927, rue Saint-Denis.

3 Boulangerie L'Amour du pain: 393, rue Samuel de Champlain, Boucherville.

4 Épicerie fine La Vieille Europe: 3855, boulevard Saint-Laurent.

5 Taverne Square Dominion: 1243, rue Metcalfe.

Photo Olivier Pontbriand, La Presse