En septembre, beaucoup de familles italiennes perpétuent une tradition qui a traversé l'océan avec elles: les conserves. Pour profiter de leur saveur tout l'hiver, les légumes du jardin sont mis en boîte. Et la tomate se prête particulièrement bien à cette pratique. Robert Beauchemin s'est joint à la famille Cianci pour sa journée annuelle de conserves.

La scène se déroule dans le jardin parfaitement manucuré d'un duplex de Saint-Léonard. Dans un coin du jardin, il y a des pruniers, au fond un large barbecue en briques. Au beau milieu, on a construit une pergola sur laquelle poussent plusieurs variétés de vignes, remplies de raisins murs. Au centre, une longue table couverte d'une nappe de plastique fleurie pouvant recevoir une vingtaine de personnes. Il y a bien une vingtaine de personnes sur place, des enfants, des aînés, une voisine, quelques cousins et amis. Et le soleil.

La famille Cianci est donc réunie... pour mettre des tomates en conserve! D'origine méridionale, de Sicile et de Campanie, la famille célèbre ainsi la saison des récoltes. La journée se veut aussi une célébration d'un passé rural idéalisé, d'une culture riche en fêtes et en traditions, surtout gastronomiques, et de l'amour de la famille et des amis.

Les premiers Cianci sont arrivés au Canada bien avant la guerre. Comme tous les immigrants italiens, ils empotaient les tomates mûres afin d'en avoir tout l'hiver. En Campanie, me dit M. Cianci qui est né ici, «les tomates faisaient partie de la cuisine de tous les jours. Il y avait assez peu de viande dans notre manière de nous nourrir. Nous mangions beaucoup de légumes, les familles dépendaient du produit de leur potager davantage que de la chair animale.»

Pour la saison froide, donc, il fallait prévoir. «Quand mes parents sont venus au Québec, ils ont continué à mettre les tomates en conserve, mais aussi les aubergines, les champignons, en fait tout ce que produisait le potager.» Les premiers Cianci se sont acheté un peu d'équipement pour se faciliter la vie: des bassines et, surtout, le joyau de la maison, une sertisseuse, qui sert à fermer hermétiquement les boîtes de métal.

La journée est encore jeune, mais Mme Cianci et sa soeur préparent déjà la pizza pour le milieu de la matinée, coupent les aubergines, tranchent le fromage. Sur le feu, les chaudrons sont remplis de sauce tomate, d'eau frémissante, le poêlon est couvert d'huile d'olive chaude.

Dans le jardin, le chantier commence à prendre forme. Les tables sont couvertes de plats de plastique qui serviront à recueillir les peaux. La bassine remplie d'eau bout déjà et les boîtes de conserve sont étalées sur la table. Dans un coin, la sertisseuse attend de jouer son rôle.

La mise en conserve des tomates est une tradition qui fait un retour dans la famille. Les Cianci avaient en effet perdu l'habitude de faire ce genre d'activité, faute de nécessité. M. Cianci a étudié la médecine et l'a pratiquée pendant presque 50 ans. Quant à sa femme, elle a dirigé une école jusqu'à sa retraite. Leurs deux fils sont aussi médecins et la fille cadette est avocate. Or, si l'italien n'est pas la langue de tous les jours ici, tout le monde est francophone. La cuisine, en revanche, est bel et bien restée italienne. Quand Pascal, l'un des fils, a redécouvert la vieille sertisseuse de son grand-père abandonnée au fond du garage, il l'a remise en usage. Et ranimé la coutume.

La journée se déroule en plusieurs étapes. La préparation est assez courte: on ramasse les tomates qui ont mûri sur une bâche dans le garage, on ne garde que celles qui sont sans taches, puis on les assemble dans le jardin pour les faire blanchir dans une bassine. Cette opération est essentielle: on ne veut pas de peaux dans les conserves. L'acidité présente dans une sauce à base de tomates en boîte est toujours le résultat de trois éléments: les graines, le jus et, surtout, la peau.

Une fois blanchies  quelques minutes suffisent  puis pelées, les tomates sont mises dans des boîtes, avec un peu de sel  disons 1/2 c. à thé  et une feuille de basilic. Le travail d'équipe fait partie de la beauté de l'activité. Autour de la table ce matin-là, il devait bien y avoir 15 personnes, riant aux éclats, déridant l'acte de peler un fruit comme on le faisait au XIXe siècle. Le jus tache les pantalons et les t-shirts, certains portent des tabliers, d'autres des chapeaux.

Les boîtes de conserve sont vite remplies de tomates et déplacées vers le sertisseur en chef. Mme Cianci apporte des provisions à intervalles réguliers pour s'assurer que tout le monde est bien nourri: de la pizza faite à la minute, avec de la sauce fraîchement préparée, des petits pains aux olives qui sortent du four, des biscuits au sucre et des taralli pugliese encore tièdes préparés par des amis de la famille. Une bouteille de Spumante et de l'eau minérale font le tour des travailleurs. Peu à peu, les odeurs migrent de la cuisine vers le jardin. Le barbecue est allumé et les viandes, mises à mariner. Car la conserve des tomates n'est pas qu'une activité gastronomique. C'est une occasion de rencontre et d'affirmation d'amitié.

À 13h, toutes les boîtes de conserve sont scellées, la plupart sont dans les bassines pour être stérilisées. Le travail est terminé. Commence le plaisir. Les gamins jouent au soccer, une joute est déjà annoncée entre un groupe d'adultes et d'ados  les trois petits-fils de M. Cianci sont de grands amateurs. Les femmes sont en cuisine (et quelques hommes, du reste), la table est mise. Quand on est aussi nombreux, la mise en place, la cuisine, la préparation générale de la table sont grandement facilitées. Tout le monde s'y met  sauf les joueurs de soccer. M. Cianci fait visiter la serre attenante à la cuisine, il y cultive une dizaine de figuiers  déjà presque aussi grands que des pommiers  au bout desquels pendent des dizaines de fruits. Il me montre aussi l'objet de son adoration: un citronnier originaire de Campanie qui donne déjà deux gros fruits verts.

En milieu d'après-midi, tout le monde se retrouve autour d'une table garnie des fruits du travail de la journée. Mais surtout du travail remarquable de Lucella et Ada Cianci qui, comme chaque fois qu'elles reçoivent des invités, n'épargnent aucun effort pour les éblouir: des antipasti de toutes sortes, un plat de pasta roulé le matin même à la sauce tomate légèrement crémée, des aubergines et des champignons sautés, de la caponatina (un ragoût familial sicilien aigre-doux à base d'aubergines et de tomates), des grillades d'agneau, du pain maison. Et du vin. Et des fruits frais au mascarpone. Et de l'espresso bien serré. Et un trait de limoncello pour terminer.

Le soleil descend quand le repas se termine, et tous partagent le sentiment d'avoir participé à une activité extraordinaire.

Un truc

Pour corriger l'acidité d'une sauce ou d'un jus de tomates, essayez ceci: plutôt que d'ajouter du sucre, ajoutez l'équivalent de la pointe d'un couteau de bicarbonate de soude à la sauce.

Le scellage de conserves a été présenté comme une grande révolution de l'ère industrielle. Il a fallu beaucoup de temps, cependant, pour comprendre pourquoi certains aliments mis en conserve pouvaient causer des malaises et parfois des maladies. Dans les conserves, les légumes qui résistent le mieux sont ceux qui ont un taux acide naturellement élevé. En ce sens, les tomates sont idéales.

Préparation de conserves de tomates à la maison

-Choisir des tomates mûres (préférablement des San Marzano ou des Romanelle) et sans défaut.

-Préparer les pots Mason. Il faut les stériliser à l'eau bouillante au moins 20 minutes. En revanche, on peut se faciliter la tâche en les mettant dans le lave-vaisselle. Il faut s'assurer que les couvercles et les pots soient impeccablement propres.

-Faites blanchir les tomates dans un grand chaudron pendant 3-4 minutes environ. Retirez les peaux en pratiquant une petite incision sur le dessus. Retirez les coeurs et placez dans un pot, dans lequel vous aurez ajouté un peu de sel et une feuille de basilic.

-Fermez le pot et déposez dans un chaudron rempli d'eau frémissante. Laissez les pots au moins 45 minutes dans l'eau chaude.

-Laissez reposer les pots dans un endroit chaud (couverts d'une couverture de laine) pendant au moins 24heures sans remuer. Pour savoir si vos pots sont hermétiques, vous ne sentirez aucun mouvement lorsque vous appuierez au milieu du couvercle. S'il y a du jeu, les pots ne sont pas stériles. Mettez ces pots au frigo et servez-vous dans les semaines à venir.