Plus de dix ans après le retour du loup à Rietschen, village de l'est de l'Allemagne, les habitants ont fini par remiser leurs peurs ancestrales pour cohabiter en paix avec l'animal dont l'essor provoque toujours le rejet ailleurs en Europe.

Dans cette partie de l'Allemagne appelée le Lausitz, le loup gris d'Europe s'est adjugé un vaste territoire fait de grandes forêts de pins et de lacs, au côté des cerfs et des sangliers.

Treize ans après son retour au pays des Frères Grimm et de leur Petit Chaperon rouge, il est même devenu un outil de marketing touristique.

«Rietschen est la commune qui vit depuis le plus longtemps avec le loup en Allemagne. Sa présence ici est devenue aujourd'hui normale», assure Vanessa Ludwig, biologiste au Bureau d'information «Région du loup Lausitz», agence officielle chargée de l'observation du canidé et de la communication auprès des habitants et des médias.

À Rietschen, paisible bourgade de 3700 âmes à la frontière polonaise, devenue la «ville du loup», on propose aux touristes de partir sur les traces de l'animal à pied ou à vélo. «Le loup nous a bien plus apporté qu'il ne nous a causé de dommages», affirme le maire, Ralf Brehmer.

Treize des 19 meutes ou couples recensés en Allemagne vivent dans cette région devenue un vivier pour le reste du pays. Ici, les loups se sont habitués au bruit des pelleteuses qui exploitent la houille et aux détonations entendues aux alentours d'un terrain d'entraînement militaire de 200 km2.

Quasiment exterminé d'Allemagne au milieu du XIXe siècle, le loup gris d'Europe profite de son statut d'espèce protégée par la Convention de Berne (1979), ratifiée par l'Allemagne et la plupart des États européens.

On recense neuf groupes de populations en Europe, notamment en Scandinavie, dans les Pays baltes, mais aussi en Pologne, en Roumanie, dans l'est et le sud-est de la France, en Italie et dans la péninsule ibérique.

Dans le Lausitz, le dernier spécimen, un solitaire venu de Pologne, avait été abattu en 1904. Quand, en 2000, la télévision montre un couple de loups originaire de Pologne venant de passer la frontière avec un louveteau, les peurs se réveillent.

«Enfant, tout le monde a entendu l'histoire du Petit Chaperon rouge et du loup. Cela reste ancré dans les têtes», explique Jana Endel, garde forestière au Bureau d'information.

Elle n'a pas oublié l'ambiance «échauffée» des premières réunions communales. «Les gens craignaient que le loup se reproduise toujours plus», ignorant que l'animal quitte ses parents entre un et deux ans pour se chercher son propre territoire ailleurs, souligne-t-elle, «on avait tout simplement oublié comment vivre avec le loup».

Pour vaincre les peurs, le Bureau d'information a animé plusieurs centaines de réunions d'information. Aujourd'hui, les habitants savent que le loup n'est pas un danger pour les humains. Dans le Lausitz, il n'a jamais attaqué l'homme en treize ans de présence.

Fidèle à sa réputation, il se régale en revanche de moutons et de chèvres mal protégés. Une cinquantaine de bêtes ont encore été fauchées dans la région en 2012.

Un agriculteur, qui avait perdu 33 bêtes après deux attaques en 2002, a paradoxalement contribué à calmer la colère de certains éleveurs. «Il a fait profiter ses collègues de son expertise» en matière de sécurité, explique Jana Endel. Les agriculteurs bénéficient d'ailleurs de subventions à l'installation de clôtures électriques.

Si «le loup n'est plus le principal sujet de discussion dans la commune», il a toujours des opposants. «Des chasseurs se plaignent qu'il mange leur gibier», reconnaît M. Brehmer.

Certains veulent toujours sa peau: trois spécimens ont été abattus dans la région depuis 2000, sans que les auteurs aient pu être identifiés.

L'animal sait qu'il doit rester sur ses gardes. Aussi, peu de monde peut se targuer de l'avoir croisé. «Ce serait comme avoir les six bons numéros au loto», estime le maire.

Pourtant il est bien là, et rôde parfois la nuit dans le village. Ses déjections attestent d'une présence aussi discrète que banale.