Les enfants adorent jouer dans les balles de mousse des centres d'amusement ou regarder un film. Mais le bruit est parfois si élevé qu'il gâche leur plaisir. La Presse a testé le niveau sonore du Funtropolis de Laval et d'une salle de cinéma. Verdict: le son est fort. Trop fort. Dossier à lire dans sa tête.

Niveau de bruit moyen dangereux au Funtropolis

Un labyrinthe à plusieurs niveaux, quatre trampolines, trois grandes glissades ondulées et 5000 balles de mousse multicolores. Voilà un aperçu de ce qu'on trouve au Funtropolis de Laval, « le plus gros complexe du genre au Canada », selon le site internet de ce centre d'amusement pour enfants de 35 000 pi2 (3250 m2). Un total de 1300 petits et grands peuvent s'y amuser en même temps.

Pour tester le niveau de bruit, La Presse s'y est rendue incognito l'après-midi du 23 mai, jour férié de la fête des Patriotes. Trois sonomètres pour iPhone et iPad ont été utilisés : NoiSee de EA LAB (fiable, selon une étude du National Institute for Occupational Safety and Health, des États-Unis), Sound Meter de LQH Apps et Decibel 10th (ainsi que sa variante InstaDecibel) de Professional Noise Meter.

Les résultats obtenus ont été présentés à Alexis Pinsonnault-Skvarenina, président et fondateur d'Acousma, une nouvelle entreprise spécialisée dans le bruit environnemental et la pollution sonore.

Même si le Funtropolis était peu fréquenté lors de notre test, le niveau de bruit y était fort. Trop fort. « La moyenne des niveaux de bruit relevés dans le centre d'amusement indique une valeur d'environ 88 décibels, rapporte M. Pinsonnault-Skvarenina. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) précise qu'un niveau de bruit sécuritaire pour l'audition se situe à 75 décibels. Les niveaux de bruit relevés sont donc bien au-dessus de cette limite recommandée. Une analyse de bruit professionnelle devrait cependant être réalisée afin de pouvoir statuer avec précision sur les niveaux de bruit ambiant au Funtropolis. »



PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

« Considérant que les enfants y restent plusieurs heures, les niveaux de bruit sont trop élevés au Funtropolis », dit Alexis Pinsonnault-Skvarenina, président et fondateur d'Acousma et finissant à la maîtrise en audiologie à l'Université de Montréal.

RISQUE APRÈS 30 MINUTES

Près de canons lançant des balles de mousse, des pointes à 96 décibels ont été relevées. Le reste du temps, le niveau de bruit oscille entre 82 et 95,8 décibels. Cris des enfants, « pop-pop-pop » des fusils à balles et sons des jeux d'arcade se mêlent aux messages diffusés par les haut-parleurs (« Tous les enfants invités à la fête d'Emma, vous êtes attendus à votre table ! »), assurant une belle cacophonie.

Pour bien évaluer les risques, il faut tenir compte du temps passé au Funtropolis. À 42,37 $ l'entrée pour un adulte et deux enfants, on y reste facilement deux heures.

PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DU FUNTROPOLIS

En moyenne, le niveau de bruit oscille entre 82 et 95,8 décibels au Funtropolis.

Le Funtropolis est conçu pour accueillir de jeunes enfants - une section ouverte sur le reste du centre est même réservée aux tout-petits de 3 ans et moins -, évidemment accompagnés de leurs parents. « Qu'on soit un enfant ou un adulte, les niveaux de bruit sont assez élevés pour être potentiellement dangereux, estime le spécialiste. Aux États-Unis, environ 12 % des jeunes de 6 à 19 ans ont une perte d'audition causée par le bruit. Les effets du bruit chez l'enfant peuvent être plus importants, puisque le dommage auditif sera présent toute leur vie et pourrait même avoir un impact sur les apprentissages scolaires. »

FATIGUE AUDITIVE

Quels sont ces dommages possibles ? D'abord, une « fatigue auditive », qui donne l'impression d'avoir les oreilles bouchées. « Cette fatigue est temporaire, et notre audition redevient normale par la suite, explique M. Pinsonnault-Skvarenina. Par contre, une fatigue auditive à répétition risque d'entraîner une baisse d'audition permanente. »

Parallèlement, des sons très forts, comme ceux des canons à balles à 96 décibels, « pourraient être assez forts pour causer un dommage auditif après une très courte exposition », ajoute-t-il. Des acouphènes (ces sons qu'on entend dans les oreilles ou dans la tête après une exposition à un bruit fort) peuvent aussi survenir, comme des maux de tête.

« Actuellement, le problème est que très peu de personnes sont conscientes des dangers d'une exposition à du bruit fort, souligne M. Pinsonnaut-Skvarenina. Les effets du bruit sont invisibles, donc on y fait moins attention. »

> Consultez les directives de l'OMS relatives au bruit

> Lisez l'étude (en anglais) parue dans The Journal of the Acoustical Society of America

Prêt à faire des changements

« Je fais tout pour assurer la sécurité de notre clientèle, enfants et adultes », indique Mike Petit, cofondateur du Funtropolis de Laval. Fier de son centre d'amusement ouvert en 2007, l'entrepreneur a rapidement rappelé La Presse quand il a été avisé qu'un niveau moyen de bruit trop fort y a été enregistré.

Lors de la construction du Funtropolis, « on a investi de 30 000 $ à 40 000 $ pour ajouter beaucoup d'insonorisation dans la bâtisse, précise M. Petit. J'ai moi-même acheté un sonomètre. J'ai fait des tests partout dans les jeux, et on n'était pas en haut des normes. »

« On a une capacité de 1300 personnes dans la bâtisse, observe-t-il. Quand tous les enfants d'une école entrent, ça crie, c'est fort, fort, fort. Tout le monde trouve ça. Quand j'ai commencé dans le domaine, je me suis dit : "Qu'est-ce que j'ai fait là ?" C'était l'enfer. Mais après deux semaines, je m'étais ajusté. »

M. Petit ne conteste pas les niveaux de bruit relevés par La Presse. « Mes readings sont presque les mêmes que les vôtres, dit-il. Le maximum que j'ai eu, c'est 94 décibels à côté des deux fontaines à balles, qui lancent de l'air pendant à peu près quatre secondes. Les enfants ne peuvent pas les réactiver avant 45 secondes. Ce n'est pas un bruit continuel. D'après mes recherches, on peut être exposés jusqu'à huit heures à un niveau de bruit de 90 décibels. Je ne sentais donc pas que c'était exagéré, même si c'est fort. »

NIVEAUX TOLÉRABLES, PAS ACCEPTABLES

Qui faut-il croire ? Un niveau sonore moyen de 88 décibels, tel que relevé au Funtropolis, est-il dangereux ou sécuritaire ?

Photo André Tremblay, archives La Presse

Les canons à balles sont très bruyants – La Presse a relevé des pointes à 96 décibels à côté de ces jeux.

« Les niveaux de bruit "tolérables" sont définis en fonction d'une incidence acceptable d'atteintes à l'audition. Soit entre 15 et 20 % d'individus atteints de surdité, après une carrière de travail en usine. »

Au Canada, la limite de bruit acceptable pendant un quart de travail de 8 heures est de 85 décibels dans presque toutes les provinces et territoires, selon le Centre canadien d'hygiène et de sécurité au travail. L'exception ? Le Québec, avec une limite maximale de 90 décibels. 

« La limite sécuritaire, en deçà de laquelle 0 % des personnes exposées vont développer une surdité, se trouve à 75 décibels », souligne M. Pinsonnault-Skvarenina. 

SILENCIEUX ET ÉCRAN LED

Mike Petit se dit d'accord pour abaisser le niveau de bruit du Funtropolis. « J'ai ajouté un foam en bas de la fontaine à balles qui est près de la section des arcades pour atténuer le son, dit-il. À l'époque, j'avais aussi appelé le fabricant pour savoir s'il avait un silencieux à mettre dessus. Il n'en avait pas. Je vais le recontacter. »

L'entrepreneur convient que les messages diffusés à répétition par les haut-parleurs sont dérangeants. « Peut-être qu'on pourrait avoir un écran LED où on indique le nom des enfants fêtés, pour ne pas qu'ils l'annoncent plusieurs fois ? », s'interroge-t-il.

« J'ai toujours pensé qu'on respectait les normes, souligne M. Petit. Mais je ne veux pas juste les respecter, je veux être beaucoup plus sécuritaire que ça. »

> Consultez le site du Centre canadien d'hygiène et de sécurité au travail

Alice à tue-tête au cinéma

Au cinéma Guzzo du Marché Central, à Montréal, La Presse a acheté une place pour Alice de l'autre côté du miroir, le jeudi 26 mai à 19 h. Dans la salle peu fréquentée se trouvaient des enfants, certains d'âge préscolaire. Trois sonomètres* employant les microphones d'un iPhone et d'un iPad ont été utilisés pour évaluer le niveau de bruit de ce film en IMAX 3D, à partir du milieu des gradins.

Dès 19 h 04, pendant les publicités et bandes-annonces, un pic sonore de 97,2 décibels a été relevé. Le maximum - 99,4 décibels - a été enregistré à 19 h 09, au début de cette production de Disney. D'autres pointes ont été notées à 19 h 47 (97,6 décibels), 20 h 19 (98,7 décibels) et 20 h 49 (97,8 décibels), peu avant la fin.

Les résultats ont été soumis à Alexis Pinsonnault-Skvarenina, président et fondateur d'Acousma.

« Les niveaux de bruit relevés au cinéma indiquent une valeur moyenne de 90 décibels, résume M. Pinsonnault-Skvarenina. L'Organisation mondiale de la santé [OMS] précise qu'un niveau de bruit sécuritaire se situe à 75 décibels. Les niveaux de bruit sont donc trop élevés. »

La projection a duré près de deux heures - c'est trop long à ce fort niveau sonore. 



PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

La Presse a mesuré le niveau de bruit lors de la projection du film Alice de l’autre côté du miroir, de Disney, au Méga-Plex Marché Central 18 des Cinémas Guzzo.

« Bien que nous ne passions pas beaucoup de temps au cinéma, les niveaux de bruit sont assez forts pour être potentiellement dangereux », ajoute le spécialiste.

RÉACTION DE VINCENZO GUZZO

Joint à Los Angeles, Vincenzo Guzzo, chef des opérations et vice-président exécutif des Cinémas Guzzo, a fait valoir que les tests faits par La Presse ne constituaient pas une analyse de bruit professionnelle. C'est vrai. Il reste que le son au cinéma est indéniablement fort, peu importe le sonomètre utilisé.

« Supposément qu'à plus de 75 décibels, il y a un potentiel de risque, a commenté M. Guzzo. Si vous commencez à parler comme des avocats, de potentiel risque... Si je sors demain, j'ai un potentiel risque que quelque chose m'arrive. Je suis mieux de rester à la maison, non ? »

« Pour moi, c'est un faux débat, a tranché M. Guzzo. C'est typique : une personne se plaint, et on veut en faire une montagne. C'est beau, vous en ferez une montagne. Moi, quand j'ai une plainte d'un parent, c'est comique, parce que la plainte n'est jamais au nom de l'enfant. Le parent dit : "J'ai vu un film avec mes enfants, j'ai trouvé le son trop élevé au point que ça m'a dérangé." Mais l'enfant, on n'en parle pas. »

BIENTÔT DES HAUT-PARLEURS AU PLAFOND

On va au cinéma pour ressentir des sensations, notamment par l'entremise du son, fait valoir M. Guzzo. « Pour créer un effet, il faut une stimulation visuelle ou auditive, explique-t-il. Maintenant que l'image est stable grâce au numérique, le nouveau champ de bataille des créateurs, c'est le son. On parle de mettre des speakers au plafond des salles pour recréer l'effet de la pluie quand il pleut dans un film. On ne veut pas que le niveau de bruit descende, au contraire. »

Ceux qui vont au cinéma savent à quoi s'attendre. « Quand un mineur va travailler dans une mine, il sait qu'il y va, illustre M. Guzzo. Il connaît les risques. C'est un peu la même chose. »

Photo Martin Chamberland, archives La Presse

« J’ai vu des photos du concert de Selena Gomez à Montréal, et il y avait des enfants, observe Vincenzo Guzzo, chef des opérations et vice-président exécutif des Cinémas Guzzo. Personne n’était en train de mesurer les décibels. Les gens étaient au courant du risque, comme ceux qui vont dans une discothèque. »

Il est moins simple qu'il n'y paraît de baisser le volume, selon le fils du fondateur des cinémas Guzzo. « Dans un film, la voix peut être établie à 75 décibels et la bombe, à 90 décibels, indique-t-il. Si on met la bombe à 75 décibels, on n'entendra pas la voix, le son sera trop faible. »

Film fantastique, Alice de l'autre côté du miroir ne vise pas un public en bas âge, souligne M. Guzzo. De toute façon, les enfants sont habitués au bruit. « Quand j'allais à l'école et que la cloche sonnait, elle était pas mal forte, se souvient-il. Au point où je me bouchais les oreilles... »

* Applications utilisées pour enregistrer le niveau de bruit : NoiSee, d'EA Lab, recommandée par un article publié dans le Journal of the Acoustical Society of America, Sound Meter, de LQH Apps, et Decibel 10th/Insta Decibel, de Professional Noise Meter.

Les Québécois exposés à des niveaux de bruit nuisibles

Au moins 640 000 Québécois de 15 ans et plus ont été exposés à des niveaux de bruit environnemental nuisibles en 2014, selon un avis de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), publié en novembre. Par « bruit environnemental », on entend tout bruit émis en dehors des milieux de travail.

« Les coûts sociétaux des effets du bruit environnemental s'élèveraient à près de 680 millions par année au Québec, selon une évaluation conservatrice », rapporte l'INSPQ. L'Institut recommande que le Québec se dote d'une politique publique pour réduire les dommages causés par le bruit.

Étonnamment, « il n'existe pas, au ministère de la Santé et des Services sociaux [MSSS], de réglementation avec le niveau de bruit environnemental », indique Caroline Gingras, relationniste au MSSS.

PAS DE PLAINTE À LA DIRECTION DE SANTÉ PUBLIQUE

À Laval, la Direction de santé publique n'a reçu aucune plainte quant au niveau de bruit au centre d'amusement Funtropolis. « En tant que client, vous pouvez parler de la situation avec l'exploitant afin de voir ce qu'il peut faire, suggère Johanne Paré, agente d'information du Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval. En tant que citoyen, vous pouvez faire un signalement à la Direction de santé publique, qui verra à faire une analyse préliminaire. »

> Lisez l'avis de l'INSPQ sur la lutte au bruit environnemental