Leurs vidéos spectaculaires attirent des centaines de milliers, voire des millions de clics et de « j'aime ». Les jeunes les admirent, les commanditaires et les annonceurs en raffolent. Entrevue avec trois vedettes sportives de l'internet.

Danny MacAskill, l'homme aux millions d'idées

La toute dernière vidéo du trialiste Danny MacAskill a déjà été visionnée plus de 10 millions de fois depuis sa publication sur YouTube, il y a à peine deux semaines. On voit l'Écossais d'origine (qui fête ses 30 ans aujourd'hui) rouler sur les toits colorés de Grande Canarie, au large des côtes africaines. Si les commandites y sont bien visibles (Red Bull et Go Pro en tête), « toutes ses vidéos sont une création de sa vision et de son imagination », nous dit-on.Est-ce que le danger fait partie du plaisir ?

Non, tout comme le risque ne fait pas partie de la fascination que j'ai à rouler. Je prends toujours des précautions quand c'est nécessaire, surtout quand j'apprends de nouveaux trucs. Par exemple, j'utilise de la mousse quand j'essaie d'apprendre des culbutes. Cela dit, ce n'est pas toujours possible dans les rues : je dois alors jauger la situation. Je ferai une manoeuvre à risque élevé uniquement si j'en ai envie et si je peux le faire de façon contrôlée.

Qu'est-ce qui vous incite à repousser ainsi les limites de votre sport ?

Je pense qu'il est naturel de vouloir toujours repousser les limites - c'est ce en quoi consiste le sport. En tournage ou dans la vie quotidienne, j'essaie d'aller à des endroits où je n'ai jamais été. Je peux tomber quelquefois, je peux me faire mal, mais au bout du compte, j'obtiens le résultat. Et je crois avoir un très bon indicateur de ce que je suis capable de faire.

Quelle est votre principale préoccupation lorsque vous tournez une vidéo ?

La confiance en soi. Je dois souvent composer avec la peur pendant le tournage. Certains jours, je sens que je peux le faire assez bien : je peux alors repousser mes limites et accomplir la figure. Quand je tourne jour après jour pendant une, deux semaines (ce qui est assez souvent le cas), ça peut être plus difficile et fatigant de composer avec la peur. J'essaie alors de m'en soucier le moins possible et d'apprécier le moment présent, l'excitation et le plaisir de faire du vélo.

À votre avis, qu'est-ce qui rend vos vidéos hyper populaires ?

Je suis très chanceux de gagner ma vie en faisant du vélo [il était jadis mécanicien] et de choisir les projets sur lesquels je travaille. Autant que possible, je demeure loin des projecteurs et je donne la parole à mes vidéos. C'est peut-être la raison pour laquelle elles sont autant visionnées et appréciées.

PHOTO FOURNIE PAR RED BULL

Le spécialiste du trial, Danny MacAskill

Qu'est-ce que le trial ?

Inventé au Royaume-Uni au début du XXe siècle, le trial est une discipline sportive qui consiste à franchir des obstacles, naturels ou artificiels, à moto, à vélo, en automobile ou en camion.

Paralysé, mais toujours en action

En septembre 2013, le Britannique Martyn Ashton, ancien champion du monde de trial à vélo, a subi un grave accident lors d'une démonstration : il s'est cassé deux vertèbres, ce qui l'a laissé paralysé des jambes. À l'époque, il avait entrepris le tournage de son deuxième vidéo Road Back Party, dans lequel il arpentait des coins peu hospitaliers du Royaume-Uni... sur son vélo de route. Ses amis cyclistes Danny MacAskill et Chriss Akrigg l'ont aidé à terminer la vidéo, visionnée près de 15 millions de fois sur YouTube depuis décembre 2013.

Pourquoi avoir utilisé un vélo de route plutôt qu'un vélo tout-terrain ? Y avait-il un quelconque avantage ?

Non, c'est beaucoup plus difficile d'utiliser un vélo de route. Et là était tout l'intérêt : faire quelque chose que personne ne croyait possible, sans se prendre au sérieux, avec humour.

Pensiez-vous que votre première vidéo, Road Back Party I (2012), serait si populaire ?

Pas du tout. J'ai fait cette vidéo parce que je trouvais ça amusant, et j'ai pensé que des cyclistes seraient heureux de voir quelqu'un pratiquer le vélo de route d'une tout autre façon. J'ai été surpris, donc, mais très content.

Est-ce satisfaisant d'avoir autant de visionnements ?

Absolument. Je fais du vélo et j'aime ça. Si mes vidéos incitent d'autres personnes à en faire, c'est que j'ai bien fait mon travail.

En faisant les vidéos, aviez-vous tendance à pousser les limites davantage que lors des démonstrations ?

Je voulais faire tout ce qu'il était possible de faire sur ces vélos. Pousser la limite autant que le vélo était capable d'en prendre.

Comment vous êtes-vous senti lorsque vous êtes retourné sur un vélo pour la première fois depuis votre accident, l'été dernier ?

J'ai beaucoup ri ! C'était une belle journée avec des amis brillants. J'étais heureux et excité.

Votre ami Danny MacAskill vient de diffuser une vidéo spectaculaire où on le voit rouler sur les toits de Las Palmas. Depuis votre accident, craignez-vous que vos amis se blessent ?

Danny est un cycliste et un réalisateur incroyablement talentueux. Je sais qu'il fait des choses sur son vélo que plusieurs considéreraient comme de la pure folie. Mais en réalité, Danny fait des figures qu'il est certain de pouvoir accomplir. Quand tu atteins un tel niveau, tu roules avec confiance et en croyant en tes capacités. Bien sûr, des accidents peuvent survenir - j'en suis la preuve ! -, mais ça ne fait pas partie de la mentalité d'un cycliste professionnel.

Quels sont vos projets pour les prochaines années ?

Je souhaite vraiment pouvoir inciter d'autres cyclistes avec un handicap à rouler sur un vélo similaire au mien [il roule aujourd'hui sur un vélo tout-terrain électrique !]. Ce serait cool. Et, bien sûr, j'aimerais faire d'autres vidéos. Je croise les doigts.

Martyn Ashton dans la vidéo Back on Track, tournée cette année, deux ans après un accident qui l'a laissé paralysé.

Plaisir doublé pour Seb Toots

Depuis 10 ans, Sébastien Toutant, alias Seb Toots, cumule les titres et les médailles dans les épreuves du circuit professionnel de surf des neiges. En parallèle, le jeune homme de 23 ans de L'Assomption s'adonne à une autre passion : celle des vidéos, dont certaines ont été vues des centaines de milliers de fois.

Est-ce fréquent, dans votre discipline (le slopestyle), de faire des vidéos de cascades en ville parallèlement aux compétitions ?

Peu de riders font les deux à cause du risque et du manque de temps. Moi, je trouve ça important de faire les deux, et j'aime autant faire l'un que l'autre.

À quoi carburez-vous le plus ?

Aux deux. Gagner une médaille d'or est un moment qui ne s'explique pas. Les compétitions me gardent au top de mon sport. Avoir une vidéo qui fait la une sur internet est très valorisant et ça montre que le monde aime ce que je fais. Les deux demandent beaucoup de temps et d'entraînement, mais je n'arrêterais ni l'un ni l'autre.

Le danger fait-il partie du plaisir ?

Le sport que je pratique depuis que je suis très jeune comporte beaucoup de danger. Si tu penses trop au danger, c'est que tu n'es pas fait pour le pratiquer. J'adore l'adrénaline que ça procure lorsque j'essaie un nouveau truc ou avant de faire une descente, en compétition. Bref, oui, le danger fait partie du plaisir. 

Est-ce que la visibilité que ces vidéos spectaculaires apportent plaît aux commanditaires ?

Oui, ces vidéos sont très importantes pour les commanditaires. Je ne suis pas obligé d'en faire, mais j'aime vraiment travailler sur des projets comme ça et c'est aussi à mon avantage de le faire.

Avez-vous déjà une idée de vidéo que vous souhaiteriez réaliser cet hiver ?

Oui, plusieurs. Je vais faire un projet avec Red Bull au début janvier cette année. J'ai beaucoup d'idées de projets, mais c'est souvent le temps qui manque.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, Collaboration spéciale

Sébastien Toutant 

LES ANNONCEURS À L'AFFÛT

Le skieur français Candide Thovex est une vedette des médias sociaux : des millions de personnes ont visionné ses vidéos où on le voit dévaler des pentes et exécuter des sauts vertigineux. Le 8 décembre, le skieur publiait sur sa page Facebook sa toute nouvelle oeuvre, une création léchée où on le voit skier à toute allure sur une montagne sans neige. À la fin, une marque apparaît, et pas n'importe laquelle : Audi.

ÉLARGIR L'AUDIENCE 

Le but de la publicité est d'inciter le consommateur à ne plus systématiquement associer la Quattro à la neige et la glace. Pourquoi avoir choisi Candide Thovex ? « Candide n'est pas seulement le skieur freeride le plus doué de sa génération, il est également doué derrière la caméra et a déjà montré sa capacité à générer des millions de vues sur YouTube », nous a écrit Ludovic Pagot, directeur du compte Audi chez Lowe Stratéus, en France. Ces vidéos, a-t-il ajouté, permettent « d'élargir notre audience vers un public plus jeune, différent, consommateur de médias sociaux ». Les prescripteurs d'aujourd'hui, les acheteurs de demain.

LES VEDETTES D'AUJOURD'HUI 

Les marques qui visent une clientèle jeune ont intérêt à s'associer aux vedettes des médias sociaux. En fait, note Mathieu Guimont, stratège numérique à l'agence Beez créativité média, c'est le même intérêt que de s'associer à un chanteur ou une vedette de la télévision : piger dans les admirateurs de la vedette. « Quand on cible des plus jeunes, des 18-24 ans particulièrement, eh bien pour eux, les vedettes, ce sont ces gens-là, qu'ils ont découverts sur YouTube et qui sont actifs dans les médias sociaux. »

LES COMMANDITAIRES 

La plupart des entreprises veulent profiter de la manne des médias sociaux. Il est cependant difficile de bâtir soi-même une identité sur les médias sociaux, souligne M. Guimont. « C'est plus facile de s'associer à quelqu'un qui est déjà hyper fort sur les médias sociaux et qui est capable de produire du contenu qui va marcher », résume-t-il. Autre avantage : les vedettes de l'internet, suivies par des milliers de personnes, ont la capacité de générer un mouvement pour que la vidéo soit vue rapidement et à grande échelle.

L'INTÉRÊT DES COMMANDITAIRES 

Au-delà de la publicité d'Audi, c'est d'abord en commanditant les athlètes que les marques s'associent à eux. Et souvent, les marques commanditent les athlètes avant même qu'ils ne produisent des vidéos. Cela dit, il est bien évident que les vidéos plaisent aux commanditaires, souligne Frédéric Bastien Forrest, animateur, chroniqueur et « dude de l'internet ». « Des entreprises vont carrément créer la situation qui va permettre de faire une vidéo qui va faire beaucoup de visionnements », dit-il. Il cite l'exemple du planchiste Maxence Parrot, le premier à avoir effectué, en avril, un quadruple underflip 1620. La vidéo (hyper léchée) de son exploit a été vue 325 000 fois sur YouTube. Et sur la structure du saut, on pouvait voir le logo du commanditaire Monster Energy.

UN AUDITOIRE ÉLARGI 

Les vidéos sportives spectaculaires existaient avant l'internet, rappelle Frédéric Bastien Forrest. Il pense aux cassettes VHS des planchistes américains Rodney Mullen et Tony Hawk qu'il écoutait avec son cousin dans les années 90. Mais l'intérêt que leur portent les entreprises évolue. « Jamais Audi n'aurait commandité un VHS de Rodney Mullen, dit-il. Mais maintenant, à l'ère où la publicité change et où les cotes d'écoute en télévision diminuent, les entreprises qui ont de l'argent et qui ont besoin de faire parler d'elles doivent s'associer à du contenu fort pour aller chercher les gens. »