Quand vient le temps de se faire tirer le portrait, force est d'admettre que certains s'en sortent mieux que d'autres. Les photographes diront que tout le monde a le potentiel d'être photogénique. Mais pourquoi, alors, ne le sommes-nous pas?

«Ah moi, je ne suis pas photogénique!» Combien de fois avons-nous entendu ou prononcé cette phrase? Ce petit «handicap» avoué, sorti au moment de montrer nos dents, est une façon pour nombre d'entre nous d'expliquer un malaise à se faire photographier. Il faut admettre que la photo ne pardonne pas...

Ce qu'on interprète comme étant un défaut prend plus d'importance sur une image fixe, alors qu'il n'y a ni paroles, ni expression, ni mouvement pour le masquer, et qu'on peut prendre tout le temps de le scruter. La photo immortalise une fraction de seconde de notre vie: ce bourrelet qu'on cherche à cacher, ce nez qui a trop de «caractère» à notre goût, ce bouton qui a choisi le pire moment pour se manifester sont figés en image alors qu'ils ne font, au quotidien, que passer.

Une belle photo, version 2014

À l'heure où l'appareil photo est à portée de la main en tout temps, ou presque, la pression de bien paraître est grande. Le mauvais cliché qu'on aurait autrefois «omis» de glisser dans l'album familial peut maintenant, par l'entremise des médias sociaux, faire le tour de notre cercle de connaissances en moins de temps qu'il en faut pour dire «sourire»!

Les plus jeunes ont grandi avec cette réalité, ce qui les rend peut-être plus à l'aise devant l'objectif, mais pas nécessairement plus satisfaits du résultat. Il est facile de tomber dans le piège de la comparaison et de chercher à reproduire les poses adoptées par les vedettes, vues et revues partout sur la Toile.

Étant donné que ces images «parfaites» véhiculées dans les médias sont le produit d'une équipe d'experts - photographes, maquilleurs, coiffeurs, stylistes, et... retoucheurs! -, on comprendra que même les plus beaux mannequins et les plus grandes stars n'arrivent pas à rivaliser avec leur propre image.

Bombardés que nous sommes de photos qui renvoient les mêmes standards de beauté, nous devenons prompts à traquer la moindre imperfection. Mais ce regard sans pitié sur notre propre image ne reflète pas nécessairement ce qu'en pense l'observateur. L'indulgence est l'ingrédient qui gagnerait peut-être à être saupoudré sur nos clichés.

Malgré tout, et en toute «objectivité», il faut avouer que la nature - ou est-ce la technologie? - ne nous a pas tous créés égaux devant l'objectif. L'appareil photo semble, en effet, en aimer certains plus que d'autres. Et ce ne sont pas nécessairement les personnes qui sont les plus hauts en couleur dans la réalité...

Qu'est-ce que la photogénie?

En prenant un raccourci, on peut parler d'une capacité à bien paraître en photo. Mais ce qui explique qu'une personne est photogénique ou non est plus nébuleux.

L'appareil photo aurait un faible pour certaines physionomies. «La caméra voit avec un oeil et pas deux. C'est un cyclope. Elle offre une image en deux dimensions qui enlève des courbes au visage. Certains traits répondent mieux à cette contrainte», explique Pierre Gill, directeur photo en cinéma.

Dans tous les cas, les experts font référence à la lumière et à la façon dont le visage la capte. Un grain de peau fin, des pommettes hautes et rebondies, une mâchoire bien découpée sont autant de facteurs qui renvoient la lumière et prédisposeraient à la photogénie.

On parle aussi de traits délicats, de symétrie ou d'équilibre dans les différents composants du visage qui font en sorte que rien ne vient troubler l'image. Il y a les yeux, aussi, élément capital : plus ils sont grands, plus ils accrochent la lumière et captent l'attention. Les yeux «parlent». Mais encore faut-il qu'ils aient quelque chose à exprimer...

Au-delà des traits «parfaits»

«Une belle personne qui ne dégage rien ne fera pas nécessairement une bonne photo. La photogénie, c'est un éclat qui s'exprime par les traits, mais aussi par le regard. C'est vraiment 50-50», affirme Alexandre Deslauriers, maquilleur et photographe dans le domaine du spectacle et du magazine.

Car la photogénie, c'est aussi l'intérêt qu'on a à regarder l'image de quelqu'un. Un regard vide suscitera probablement des réactions tout aussi absentes chez l'observateur, aussi parfaits soient les traits qui l'entourent.

«Ça peut paraître cliché, mais ce qui fait la différence, c'est de voir l'âme de quelqu'un à travers son regard. Une belle énergie a le pouvoir de faire oublier des traits qui sont moins photogéniques. C'est elle qui prend alors le dessus», dit Pierre Gill.

«Ce facteur transcende l'image, confirme Nadja Martini, agente de mannequins chez Montage. Un mannequin qui a une belle personnalité et qui offre une variété d'expressions risque d'avoir plus de succès qu'un autre qui en a moins.»

Avoir «de la gueule», «du chien», une émotion à passer, ça compte, donc! On ne parle peut-être pas de photogénie pure, mais d'une image qui a du caractère et qui accroche l'observateur. «C'est évident qu'une jeune fille aux traits parfaits va faire une bonne photo. Mais bien éclairée, sa grand-mère qui en a bavé un coup fera probablement une très belle photo aussi, mais pas selon les mêmes critères d'évaluation», précise Robert Legendre. L'une est esthétique, l'autre raconte une histoire. Et c'est parfois là que les choses deviennent intéressantes et que la magie opère...