C'est clair, votre fils est un génie. Qui sait, peut-être deviendra-t-il astronaute et succédera-t-il à David St-Jacques? Il a une imagination débordante, c'est le prochain Xavier Dolan? La Presse est allée investiguer du côté de l'enfance de quelques surdoués. Un phénomène que même les spécialistes peinent à expliquer.

Pascale Lefrançois avait à peine 3 ans quand, assise auprès de sa mère qui lui lisait une histoire, elle a lancé: «Maman, lis pas!» Et la petite puce haute comme trois pommes a continué la lecture. Toute seule. Comme une grande.

 

«Je ne sais pas comment elle a fait son affaire, mais elle est arrivée en maternelle et elle savait déjà lire!» s'éblouit encore son père, René Lefrançois, rencontré dans sa chic demeure de Cartierville.

C'est la même petite bonne femme qui, 13 ans plus tard, allait émerveiller le Québec en gagnant, à 16 ans, la dictée de Bernard Pivot.

Les experts le confirment, un enfant qui apprend tout seul à lire a de bonnes chances d'être parmi les 2 à 10% (selon les estimations) de jeunes doués. Car qu'est-ce que l'intelligence, sinon «la facilité à apprendre», rappelle Françoys Gagné, professeur à la retraite du département de psychologie de l'UQAM et auteur d'une théorie sur les fondements de la douance et du talent.

Évidemment, quand c'est notre enfant, le seul de surcroît, comment savoir s'il est précoce ou non? «Tout le monde nous disait qu'elle n'était pas comme les autres!» Pensez-y: toute petite, vers 2 ans, Pascale Lefrançois entrait dans le cabinet de dentiste de son père et chantait l'hymne national. Tous les couplets. Sans faute.

Bien sûr, c'était aussi une enfant comme les autres. Le samedi matin, elle regardait Le Petit Castor à la télé. Son père, de son côté, l'accompagnait en feuilletant des livres d'art. Très vite, c'est toutefois la fillette qui s'est mise à accompagner son père: «Papa, on va regarder la Pinacothèque de Munich?» Elle connaissait le titre des oeuvres par coeur. «Tout était un jeu pour elle», confie-t-il: apprendre le nom des capitales de l'Afrique à 6 ans, tout comme les dynasties des rois de France à 10 ans. Une vraie éponge.

Résultat, il a fallu alimenter sa curiosité. Nourrir sa soif d'apprendre. Par souci pédagogique, mais aussi par nécessité. «Elle avait une longueur d'avance sur les autres, alors il fallait l'occuper ailleurs.» En maternelle, ses parents l'inscrivent donc à des cours de piano. Sans surprise, elle excelle.

Une forme de «handicap»

Pour en avoir le coeur net, ils lui font passer un test d'intelligence. Mais ils ne lui diront pas le résultat. Jamais. «On ne le lui a jamais dit parce qu'on voulait qu'elle soit une fille comme les autres. On ne voulait pas la pousser. Surtout, ne pas faire d'elle un chien savant, dit son père. Surtout pas ça: un chien savant.»

Car au risque de «se plaindre le ventre plein», oui, la douance est une forme de «handicap», croit-il. «Il y a d'autres exigences, mais il faut tout autant les satisfaire.»

À noter, la petite, par ailleurs si éveillée intellectuellement, a toujours été discrète, timide et surtout très sensible. «Quand on lui chantait bon anniversaire, ça la bouleversait. À tel point qu'on est allés consulter. On pensait qu'elle avait un acouphène!»

De là à conclure que tous les enfants doués sont ainsi timides et sensibles, il y a un pas que plusieurs dénoncent. Au contraire, il n'y a pas de profil type, précise Serge Larivée, professeur de psychoéducation à l'Université de Montréal et auteur d'un livre sur le quotient intellectuel. Et tant qu'à déboulonner certains mythes, ce ne sont pas non plus des jeunes mal dans leur peau, des décrocheurs asociaux, et ils n'ont pas plus de problèmes de comportement que la moyenne des enfants de leur âge, ajoute-t-il. «Ce sont des enfants comme les autres!»

Des enfants comme les autres qui ont le don de surprendre leurs parents. Suzanne Savignac se souvient encore du jour où son fils Renaud, aujourd'hui âgé de 10 ans, lui a demandé: «Maman, trois fois deux, ça fait six?» Il avait 4 ans. Deux ans plus tard, dans une Rôtisserie St-Hubert, sa mère commande trois menus pour enfants à 4,95$ et deux assiettes pour les parents. «Maman, s'il y avait juste nous trois, ça coûterait 14,85$?»

«À ça, on ne sait pas trop quoi répondre», confie-t-elle. Pourtant, son aîné, Colin, avait déjà préparé le terrain. À 8 mois, il prononçait ses premiers mots; à 18, des phrases complètes; et à deux ans et demi, il connaissait la moitié de l'alphabet. «Mais on ne l'a jamais poussé! Il jouait avec les lettres aimantées sur le frigo!»

Aujourd'hui, les deux garçons, tout comme leur petite soeur Élise, vont à l'école Fernand-Seguin, une école publique de la CSDM pour enfants doués. Ils sont imbattables aux échecs, dévorent les romans (à raison de 900 pages par semaine chacun!), et Renaud est même le plus fort de son équipe de soccer.

«C'est sûr que ça me donne un peu le vertige, confie la mère, ingénieure, qui a arrêté de travailler à la naissance de son quatrième enfant. Je me questionne tout le temps: est-ce que je leur permets d'exploiter leur plein potentiel?»

Gare à la surstimulation, prévient toutefois Serge Larivée. «Ma crainte, dit-il, c'est qu'on vole leur enfance à ces enfants. Laissons-les être des enfants. Cela fait de meilleurs adultes.»