Oubliez l'oliveraie bucolique, sur le flanc d'une colline en bordure de la Méditerranée. L'huile d'olive est devenue une industrie gigantesque, très rentable et infestée de commerçants malhonnêtes qui ne demandent pas mieux que de multiplier leurs profits sur le dos des consommateurs, lesquels se trouvent bien souvent à l'autre bout du monde.

«Les analyses de l'Agence canadienne d'inspection des aliments ont mis en évidence une augmentation de l'altération de l'huile d'olive par rapport aux exercices précédents», indique le dernier rapport de l'organisme de contrôle. L'Agence note l'utilisation de l'huile de canola, de tournesol ou alors la fabrication de l'huile avec des résidus d'olives plutôt qu'avec la pulpe. En 2002-2003, les inspecteurs de l'Agence avaient testé 49 échantillons d'huile. Seulement deux étaient falsifiés. Pour 2006-2007, 15 des 45 échantillons passés au laboratoire avaient été altérés. Seulement les deux tiers étaient conformes.

 

Dans l'industrie, tout le monde est au courant de ce fléau. «C'est un sujet tabou», estime toutefois la Québécoise Michèle Ricard, propriétaire de La Belle Excuse, qui embouteille ici des huiles de l'oliveraie familiale de son conjoint, en Grèce. «Juste entre notre propriété dans le Péloponnèse et Athènes, notre huile risque d'être coupée deux fois», déplore-t-elle.

L'huile d'olive est le produit idéal pour les fraudeurs, explique Claudia Pharand, propriétaire des boutiques Olives&Olives. D'abord, elle est passée d'un luxe réservé aux connaisseurs à produit de grande consommation en quelques années. Au Canada, depuis le début des années 90, la consommation d'huile d'olive a triplé, selon les chiffres du Conseil oléicole international, l'organisme de référence en la matière.

«Ça coûte très cher de produire de l'huile d'olive», explique Claudia Pharand. On ne peut pas s'attendre à payer le même prix pour un gallon d'huile d'olive que pour un gallon d'huile de canola. Des industriels sont donc tentés d'offrir des huiles «extravierge» aux mêmes bas prix que n'importe quelle autre pour attirer une nouvelle clientèle. Le phénomène est largement répandu, partout dans le monde.

En 2007, les autorités italiennes ont testé les huiles de 757 producteurs, pour découvrir que 205 d'entre eux avaient coupé leurs huiles d'olive. Les fraudeurs trichent aussi sur l'origine de l'huile. De l'huile africaine devient italienne, explique Michèle Ricard. «On a même déjà trouvé de l'huile à moteur dans de l'huile d'olive, dit-elle. On recycle aussi de l'huile rance avec de la plus fraîche. Pour changer la couleur, ils ajoutent parfois de la chlorophylle.»

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, on ne reconnaît pas toujours facilement une huile trafiquée, à l'oeil et même au nez. Les laboratoires qui testent les huiles doivent calculer le taux d'acide oléique dans l'huile pour découvrir le pot aux roses. En Amérique du Nord, un seul laboratoire est accrédité par le Conseil oléicole international, celui de l'ACIA.

Le consommateur pris en otage

Alors comment les consommateurs peuvent-ils se prémunir contre de telles fraudes?

Il n'y a pas de formule magique, mais Claudia Pharand conseille de se méfier des huiles d'olives extravierge qui sont vendes à des prix dérisoires. «Il ne faut jamais acheter une huile qui n'est pas datée», conseille-t-elle également. Elle recommande aussi à ceux qui veulent s'assurer d'acheter de la véritable huile d'olive extravierge de chercher des huiles qui proviennent directement du producteur. «Le nom du producteur sera écrit sur la bouteille», dit-elle.

Plus il y a d'intermédiaires entre le producteur et le consommateur, plus les risques de fraudes se multiplient, rappelle aussi le professeur John Spink, de l'Université du Michigan, qui note que les contrebandiers sont extrêmement rusés et brouillent les cartes des inspecteurs. Ce qui explique le peu de condamnations.

Pour se protéger de la contrefaçon en général, John Spink croit qu'on risque moins de tomber sur de faux produits dans de grandes chaînes d'alimentation, parce qu'elles ont les ressources pour vraiment contrôler l'origine des produits qui se trouvent sur leurs tablettes. La fraude alimentaire est une épée de Damoclès pour les commerçants. «Personne ne veut voir son nom entaché par le rappel d'un produit contrefait», dit John Spink.

Le groupe Loblaws, par exemple, a quelques huiles d'olive sous sa marque maison. «Nous envoyons nos développeurs de produits en Europe afin de faire des visites d'entreprises et nous faisons tester nos huiles d'olive par une tierce partie», explique Josée Bédard, porte-parole du groupe d'épiceries.

Les petits commerces spécialisés, où chaque bouteille est méticuleusement choisie, sont aussi plus scrupuleux quant à l'origine des huiles. Mais personne n'est à l'abri d'une fraude alimentaire.

Au Canada, l'huile d'olive est l'un des deux secteurs sensibles ciblés par l'ACIA. L'autre vise les produits de boulangerie, où il y a également un bon nombre d'irrégularités. Les 209 entreprises de boulangerie visitées par les inspecteurs canadiens en 2006-2007 ont reçu 1109 constats d'infractions. Plus d'un millier de fautes décelées. Certaines étant d'innocentes erreurs, d'autres, des tentatives délibérées de flouer le consommateur dans notre système alimentaire qui est basé sur la confiance.