Les légendaires cafés de Vienne existent depuis plus de 300 ans et ils ne craignent pas l'arrivée des concurrents de la chaîne américaine Starbucks, au contraire, la cohabitation semble plutôt harmonieuse.

La capitale autrichienne, avec ses 1,68 million d'habitants, compte, selon la chambre économique fédérale, plus de 2.690 de ces établissements. Et l'on peut encore comme au temps de l'empire y passer des heures devant un «Mélange» (nom français adopté en autrichien pour désigner le café au lait) ou «grosser Brauner» (grand crème) pour lire le journal ou papoter avec ses voisins de table.

Le café y est servi depuis des siècles sur un tout petit plateau toujours accompagné d'un verre d'eau.

Dans ce contexte la chaîne de cafés à emporter américaine a curieusement fini par percer avec l'ouverture récemment à Vienne de sa 13e enseigne en sept ans. Et la chaîne indienne Coffee Day vient d'y ouvrir son premier établissement.

«Cela enrichit le marché, ainsi chaque consommateur a maintenant le choix entre un café viennois traditionnel, stylé, ou un endroit plus moderne, le Starbucks», explique le responsable de presse de la chaîne en Autriche, Reinhard Lischka.

«Beaucoup de gens croyaient qu'on allait vendre du mauvais café à un prix élevé mais on nous respecte maintenant pour la qualité de notre café et nos produits», ajoute Cristina McDaniel, directrice régionale des ventes.

Certes les Starbucks de Vienne proposent, à côté des latte machiatto et autre boissons favorites des Américains, un «Viennese Melange» traduisez café avec du lait chaud.

La percée a été lente, mais les craintes initiales d'une invasion venue d'outre-atlantique mettant en danger une très vielle tradition viennoise ont été vite dissipées.

L'un des cafés les plus connus, le Café Hawelka, dans une ruelle près du centre piétonnier de Vienne, dont le décor et le mobilier sont les mêmes depuis plus de 100 ans, ne désemplit pas. Car on y goûte justement «cette atmosphère confinée et enfumée d'antan», selon un habitué des lieux.

Dans la pénombre du petit local aux chaises en bois hétéroclites et tables rondes exiguës, le manque d'espace favorise les conversations entre inconnus. Au siècle dernier on y rencontrait artistes et écrivains autrichiens célèbres venus philosopher ou juste passer du bon temps ensemble.

«C'est un peu comme dans son salon chez soi», raconte Amir, petit-fils de Leopold Hawelka, 97 ans, fondateur du café racheté en 1936 et rouvert en 1945, et qui salue encore quasi quotidiennement les clients à l'entrée.

«Les touristes ne viennent pas à Vienne pour aller dans un Starbucks, ils veulent vivre l'expérience d'un vrai café viennois typique», souligne-t-il en montrant les vieilles affiches «authentiques» sur les murs.

«Les chaises, les décors ont plus de 100 ans, et mon grand-père aussi aura bientôt 100 ans», note Amir dans un éclat de rire.

La légende à Vienne veut même que la boisson café y ait été inventée en 1683 après le retrait des troupes ottomanes qui avaient laissé une grande quantité de sacs de graines vertes. Un Viennois les fit torréfier puis tenta l'expérience d'y verser de l'eau bouillante. Le breuvage trop amer a dû encore attendre l'ajout, par mégarde, de sucre pour être finalement apprécié de la population locale qui, depuis, le déguste tous les jours en dizaines de variations.

Et si les Starbucks offrent l'internet sans fils gratuit et du New York Cheesecake, au Café Schwarzenberg, on est fier de sa sélection quotidienne de la presse internationale mise gratuitement à disposition des clients avec un choix de Gugelhupf et autres gâteaux et viennoiseries du jour.

«Les cafetiers traditionnels ne dénigrent plus autant les Starbucks qu'avant, ils ont vu qu'on n'était pas les mauvais Américains qu'ils croyaient», affirme M. Lischka.

«Mais c'est toujours un bon sujet de conversation, et pour le café, les discussions, c'est crucial», rétorque Leopold Hawelka.