Trente jours de consommation québécoise. Des patates aux bobettes, en passant par la nourriture pour le chien, le vin et les produits d'entretien. Notre journaliste Silvia Galipeau a tenté l'expérience. Son expérience, enivrante (!), fascinante, mais surtout épuisante.

«Mais qu'est-ce que vous allez manger?» «Ouais, faut vraiment vouloir!» «Mais ... pourquoi?» Qu'il y en a eu, des commentaires, quand nous avons annoncé à nos proches, amis et même collègues, notre aventure familiale: pendant tout le mois de septembre, nous n'allions consommer que des produits faits ici. Notre quotidien serait québécois, ou ne serait pas. Pourquoi? Mais pourquoi pas! Alors que la récession se fait de plus en plus menaçante, la consommation locale apparaît comme une solution appropriée. Nous avons donc voulu faire notre part: encourager l'économie locale, réduire notre impact environnemental (pensions-nous), et aussi (surtout?), conscientiser nos enfants.

Non, manger des bananes au Québec, les filles, ça ne va pas de soi. Ni du chocolat. Ni (misère!), boire du café.

Nous nous sommes donc embarqués, le père, nos deux fillettes et moi, dans cette "petite" aventure. Un mois à nous creuser les méninges pour concocter nos menus quotidiens (exit le riz, l'huile d'olive, et les sucreries ; place à l'orge, aux légumes racines et au sirop d'érable). Un mois à lire les étiquettes à la loupe, à interroger les commerçants, à pester contre les supermarchés qui n'identifient pas la provenance des viandes, à chercher des recettes pour des légumes méconnus (vive l'internet). Un mois à appeler, et rappeler encore, une foule de fabricants, pour leur poser sans cesse les mêmes questions: votre pesto, contient-il du basilic d'ici? Vos cahiers, sont-ils faits à partir de carton québécois? Et votre papier hygiénique, contient-il du papier recyclé d'ici, ou faut-il en importer?

La préparation

On ne décide pas de prendre un virage québécois sur un coup de tête. Il a fallu des journées entières de préparation mentale (avec les enfants et le père, notamment). Côté pratique, il a fallu dresser des listes de produits tolérés, ou interdits.

La préparation mentale, d'abord. C'était au mois de juin. L'idée venait de naître. Le projet adopté. Un soir, assise à table avec mes filles, je leur ai annoncé, sur le ton le plus enthousiaste possible, qu'elles participaient à mon reportage québécois au mois de septembre. «Yé! les filles!» Réaction? Des larmes: «On ne pourra plus manger de parmesan! Ni d'amandes, ni de dattes!» Moins dramatique que prévu, finalement. Elles ne savaient pas encore que cela excluait aussi les biscuits et les bonbons. Le père, par contre, «digérait» déjà mal son vin québécois...

Une fois la famille (quasi) convertie, il a fallu établir nos règles. Nos achats quotidiens (produits de beauté, vêtements, etc.) seraient 100% fabriqués au Québec, peu importe la provenance de la matière première. Pour toute l'alimentation, notre québécitude irait une coche plus loin: 100% local. Exit donc, plusieurs ingrédients «exotiques» comme le jus d'orange, le couscous ou les pâtes blanches (le blé dur ne pousse que dans l'Ouest canadien), ainsi que la plupart des produits préparés (comme les biscuits et céréales Leclerc, à base de sucre et de farine non québécois), plusieurs pains (sauf quelques marques ciblées) et... le café. Ce serait d'ailleurs une des rares entorses à notre règlement. Nous avons flanché, en optant pour la solution de rechange la plus «québécoise» possible: du café importé, mais torréfié, emballé, bref, entièrement préparé ici. Merci Toi, Moi&Café...

Première conclusion: j'allais devoir me mettre sérieusement aux chaudrons. «Manger local, ça veut dire cuisiner», nous avait d'ailleurs prévenus Robert Beauchemin, propriétaire de la Meunerie Milanaise et des Moulins de Soulanges, rare producteur de produits céréaliers québécois (utilisés par les boulangeries Première Moisson et Le Fromentier, ainsi que par la boulangerie Auger, dont on retrouve le pain tranché chez Wal-Mart et Costco).

Deuxième constatation: il ne fallait rien laisser au hasard. Trouver québécois demande un minimum de recherche. Un samedi matin, le père s'est d'ailleurs réveillé en panique: il lui fallait un pantalon, pour un mariage l'après-midi même. Mal préparés, nous n'avons pas trouvé à son goût (ou à notre portefeuille). L'aventure s'est terminée chez Mexx, 100% «not québécois». Quelques jours, un peu de recherche et plusieurs entrevues plus tard, j'ai appris que la plupart des pantalons signés Ralph Lauren et Calvin Klein de chez Simons et "fabriqués au Canada", sont aussi faits au Québec. Même si l'étiquette ne le dit pas...

La routine s'installe

En quelques semaines, notre nouvelle «routine» québécoise était installée. Tous les lundis, j'allais religieusement au Marché des Saveurs du Québec pour acheter les fromages préférés des filles (le Zéphyr a vite détrôné le parmesan), de savoureux «gendarmes» pour le père, et essayer de dénicher, en vain, du bon vin.

Au marché Jean-Talon, l'offre de fruits et légumes, plutôt généreuse au début du mois, a commencé à s'amenuiser avec le temps frais. Non sans une certaine fierté, j'ai servi à ma famille "les derniers artichauts de l'année". Personne n'a bronché. Parce que tout le monde a compris: la saison est tout simplement finie. Mission pédagogique réussie.

Côté repas, nous avons finalement mangé davantage de viande (à notre Metro, seuls l'agneau et le veau sont «toujours» québécois ; la volaille, le porc et le boeuf le sont «souvent»), et beaucoup moins de poisson que prévu. Lors d'un passage à la Dorade Rose, sur l'avenue du Mont-Royal, pas un seul poisson ne venait d'ici. Rien.

Il aura fallu une entrevue avec une conseillère en politiques commerciales du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec pour avoir l'heure juste: des rares poissons frais québécois que l'on peut trouver ces jours-ci, il n'y a que la truite et l'omble chevalier d'élevage, parfois le turbot. Pour le reste (crabe, homard, crevette nordique, maquereau et morue), il faut se rabattre sur les produits congelés, ou attendre le printemps prochain, m'a-t-on signalé.

Non, nous ne craquerons pas

Ou si peu. Car l'aventure, aussi fascinante soit-elle, a été épuisante. Mentalement. C'est que certains besoins vitaux, impossibles à combler, ont commencé à se faire sentir vers la fin du mois. Consommer impulsivement, sortir au restaurant, par exemple.

Hormis quelques cafés, généreusement «offerts» par des collègues, une ou deux bouteilles de vin, exceptionnellement, et un petit paquet de chewing-gum, nous avons pourtant respecté notre engagement. Notre consommation a été, à quelques exceptions près, 100% québécoise.

Peut-on pour autant parler de victoire? Malheureusement pas. Parce que pour y arriver, il nous a fallu une organisation monstre. Des heures de recherches, une bonne centaine de coups de téléphone. Malgré tout, le succès n'a pas été absolu. Il nous a été impossible, par exemple, de trouver des brosses à dents, un parapluie, ou encore des gants pour enfants, faits ici. Sans parler (soupir!) du bon vin. Par contre, nous avons déniché une sympathique petite vodka québécoise ; découvert que Louis Garneau fait encore ses casques à vélo ici (en plus d'une foule de sous-vêtements sportifs); que Tyr fabrique ses maillots à Montréal ; appris à ne jamais nous fier aux étiquettes, et surtout à jaser longuement avec nos petits commerçants.

Verdict? À moins d'être drôlement débrouillard, de recycler ses vêtements, voire ne pas avoir de jeune enfant, non, je ne crois pas que l'expérience soit viable à long terme. Ce qui manque, par-dessus tout? Du temps. Et ça, on n'en a jamais suffisamment.

ON A AIMÉ

> Le fromage Zéphyr, de la fromagerie des Cantons.

> La vodka Kamouraska.

> Les tabliers Création MK.

> L'accueil des commerçants.

> La curiosité des enfants.

ON A TROUVÉ LE TEMPS LONG

> Sans huile d'olive.

> Sans vaporisateur démêlant pour enfant.

> Sans liberté de consommation.

> Sans saumon.

> Sans café à volonté.

Casse-tête québécois

Toute la complexité de la consommation québécoise réside dans l'étiquetage. Il est quasi impossible de savoir, à vue de nez, si un produit est fait ou non au Québec.

Pour la nourriture, il y a bien sûr les mentions «Aliments du Québec» (une majorité d'ingrédients sont d'ici, et toutes les activités de transformation sont aussi faites ici) ou «Aliments préparés au Québec» (50% des ingrédients sont d'ici, et 80% des activités de transformation sont aussi d'ici). Pour les besoins du reportage, nous n'avons consommé que les premiers: «Aliments du Québec». Cet étiquetage, visant à promouvoir l'agroalimentaire québécois, demeure malheureusement volontaire. Bref, peu populaire.

Or, la plupart des grandes marques, Lactantia, Saputo, et autres Leclerc, possèdent des usines partout au pays. Le consommateur curieux, souhaitant savoir si son fromage Ficello est bel et bien québécois en est donc réduit à téléphoner chez Parmalat. Comme nous, il passera des heures pendu au téléphone.

Pour les autres biens de consommation, les étiquettes font généralement mention du pays. Les petits commerçants sont donc ici les mieux placés pour vous aider, connaissant généralement bien leur marchandise. Mais là encore, il vous faudra du temps.

Surprise: les commerçants se sont toujours montrés très réceptifs. Que ce soit chez Franc Jeu, à la recherche de jouets d'ici, ou chez Rosetti, pour trouver des costumes de danse québécois, jamais il n'y a eu un geste d'impatience. Au contraire. Toujours, les commerçants se sont montrés ouverts et respectueux. «Vous avez raison, moi aussi j'essaie de consommer québécois...»

 

Consommation québécoise = consommation responsable

Pas nécessairement. Car consommer responsable, si cela signifie certes privilégier l'économie locale, c'est aussi encourager l'économie d'autres pays, croit Gale West, professeure des sciences de la consommation à l'Université Laval. «Cette truite qui vient du Chili, elle vient d'un pays qui n'est pas riche. Est-ce que j'ai la responsabilité d'encourager son économie? Moi, je dirais que oui.» Être responsable, poursuit la chercheuse, c'est aussi équilibrer son budget familial. Or, acheter québécois coûte en moyenne de 20 à 30% plus cher. Et ça n'est pas nécessairement plus écolo non plus, dit-elle. Car pour acheter local, il faut souvent se déplacer, individuellement, jusque dans un marché. De leur côté, les petits producteurs prennent aussi individuellement et quotidiennement leur camion, pour apporter leurs chargements. «Ce n'est pas nécessairement plus sain pour l'environnement qu'un seul et énorme vol de la Californie jusqu'à nous.»

En bref, être responsable, c'est trouver un juste équilibre (propre à chacun, selon ses moyens financiers et ses valeurs) entre toutes ces considérations, résume Mme West.

L'intérêt de notre exercice, alors? «Être responsable, c'est aussi réfléchir. Là, vous êtes beaucoup plus conscient de tout. Et c'est énorme.»