Du 17 au 21 septembre, le Festival international du film haïtien de Montréal se consacre à un sujet tabou: le vaudou. Mais est-ce encore si tabou?

Que ce soit au Québec ou ailleurs, de plus en plus d'Haïtiens brisent la loi du silence et parlent ouvertement de leurs pratiques vaudouisantes. Malgré tout, le mystère demeure. Le vaudou est-il une religion? De la magie? De la sorcellerie?Àquoi servent ce hochet, ce parfum et ces dessins ésotériques? Les poupées vaudou existent-elles vraiment? «Initiés», pratiquants et intellectuels répondent aux questions...

Toc, toc, toc.

Nirva Chérasard cogne trois coups sur le mur de la cage d'escalier. Elle nous demande d'en faire autant avant de descendre dans le sous-sol. «Il faut s'annoncer aux esprits», dit-elle avant de s'engouffrer dans la pénombre. En bas des marches, le spectacle est surprenant. De l'encens brûle. Le plancher, fraîchement nettoyé, sent le parfum et le basilic. Des dizaines d'objets tout aussi étranges les uns que les autres sont exposés de manière très ordonnée sur un autel. Bouteilles décorées, cierges de saints catholiques, foulards de satin multicolores, machette, tableaux ésotériques, têtes de mort, drapeau haïtien, clochettes... Seuls les murs en contreplaqué viennent nous rappeler que nous sommes bel et bien dans un bungalow de Repentigny...

Nirva, alias Soleil levant, est une mambo. Ou, si vous préférez, une prêtresse vaudou. Et c'est ici, dans ce petit temple personnel (un houmfort) qu'elle tient ses cérémonies les plus intimes. Avec son «frère spirituel» Bob St-Felix, lui aussi prêtre vaudou (houngan), la dame passera plus de deux heures à nous expliquer la base de ses rites religieux, allant jusqu'à revêtir sa robe de cérémonie pour les besoins de la photo.

Soyons francs: il est rare qu'une mambo ouvre ainsi les portes de son lieu de culte. Il y a encore quelques années, une telle chose aurait carrément été impossible. Sujet tabou pour une majorité d'Haïtiens, le vaudou est longtemps resté un phénomène clandestin, victime de préjugés tenaces. Mais voilà. Il semble que les choses soient en train de changer. Depuis le début des années 2000, de plus en plus d'adeptes décident, comme Soleil levant, d'affronter leur peur et de s'afficher, bien décidés à redonner au vaudou ses lettres de noblesse. «Il faut cesser de se cacher, dit Mme Chérasard. C'est fatigant d'être encore associés à la mauvaise sorcellerie. Nous, on voudrait que nos enfants et nos petits-enfants n'aient pas honte d'être vaudouisants.»

«On est des braves»

En Haïti, la réhabilitation est déjà bien commencée. En 2003, le président Jean-Bertrand Aristide a reconnu le vaudou comme religion officielle, au même titre que le christianisme, habilitant ainsi tout prêtre vaudou à célébrer mariages, baptêmes et enterrements. La plupart des grandes villes du pays possèdent aussi des temples publics et d'importantes organisations vaudouisantes.

À Montréal où l'on compte quelque 120 000 Haïtiens on n'en est pas encore là. Mais le mouvement est amorcé. Des messes vaudou, avec prêtres venus spécialement d'Haïti, sont annoncées sur les ondes de CPAM (la radio haïtienne de Montréal); le centre culturel haïtien (La Perle retrouvée) présente des cérémonies sans se cacher, alors qu'une certaine «Prêtressehaïtienne» (La Belle Déesse Dereale Botanica) offre ses services dans les médias antillais de la ville.

Malgré tout, la loi du silence domine toujours. En dépit d'une ouverture grandissante, les vaudouisants restent mal vus dans la communauté, payant encore le prix de leurs pratiques non conventionnelles. Soleil levant est la première à s'en plaindre. «Même dans notre famille, on vit l'exclusion, déplore la mambo. Ma propre soeur n'envoie pas ses enfants chez moi parce qu'elle a peur que mon fils leur parle de vaudou.» Si certains, comme Mme Chérasard, assument pleinement leurs pratiques, d'autres finissent tout simplement par se convertir au christianisme, à force de harcèlement et de pression sociale. Plus surprenant encore: ce rejet ne se limite pas aux vaudouisants. Parlez-en à Jean Fils-Aimé, auteur de deux livres controversés sur le vaudou parus en 2007 et 2008. Pasteur baptiste, historien et théologien, M. Fils-Aimé y affirme, en substance, qu'il n'y a pas d'incompatibilité fondamentale entre le vaudou et la foi chrétienne. Ce pavé dans la mare l'a éclaboussé plus que prévu. «J'ai été ostracisé par la plupart de mes collègues. Mon Église m'a montré la porte. Aujourd'hui, je dessers une paroisse à majorité blanche», raconte-t-il.

Une image diabolisée

Pourquoi tant de haine? «Parce qu'on n'efface pas 200 ans d'histoire en quelques années», se contente de répondre le pasteur Fils-Aimé. Victime de plusieurs siècles de propagande négative, le vaudou porte en effet de lourds stigmates. Sorcellerie, magie noire, possession, mauvais sort: tous les clichés sont bons pour décrire cette religion haïtienne originaire d'Afrique, qui a longtemps permis aux esclaves de résister à la colonisation spirituelle.

«L'Église catholique a déployé beaucoup d'efforts pour diaboliser l'image du vaudou, explique Monique Dauphin, une pratiquante qui milite activement pour la reconnaissance du vaudou. Hollywood a fait le reste. Les films nous le montrent toujours sous un mauvais aspect. Ils ne prennent pas la peine de chercher plus loin.» Certes, il n'y a pas de fumée sans feu. La clandestinité a vraisemblablement favorisé l'éclosion de pratiques parallèles douteuses dans le vaudou. Mais était-ce vraiment du vaudou? Ça, c'est une autre question. Pour Nirva Chérasard, il est grand temps de faire une distinction entre la sorcellerie et la religion.

Si certains «wangateurs» (sorciers) persistent à exploiter le vaudou à des fins mercantiles, les vrais «initiés» eux, le voient plutôt comme une démarche culturelle globale, guidée par une grande force spirituelle. Selon le pasteur Fils-Aimé, les Haïtiens n'auront pas le choix, un jour ou l'autre, d'assumer pleinement cette part de leur identité. «Rejeter le vaudou, c'est nous rejeter nous-mêmes, lance le théologien. Parce que tout Haïtien a le vaudou en lui, que ce soit dans sa conception de la famille ou dans son rapport à la nature et à la surnature Cela fait partie de notre haïtianité.»

Y aura-t-il un jour à Montréal, comme aux Gonaïves ou à Port-au-Prince, des temples vaudou ouverts au public? C'est le souhait le plus cher de Nirva Chérasard. En attendant, la mambo continuera son travail de démystification, en donnant l'image de quelqu'un «qui pratique dans le positif». «On est des braves, conclut Monique Dauphin. Ce n'est pas farfelu de le dire. C'est vrai qu'il faut être brave pour s'exposer comme ça. Mais il n'y a plus aucune raison qu'on pratique sous les draps. Il faut qu'on en soit fiers, au contraire Vous savez, il y a beaucoup de sources de division chez les Haïtiens. Mais si on arrive à se respecter là-dedans, je pense que notre société va sortir de sa torpeur.»