Kate Smurthwaite est, selon elle, une dure à cuire. Rien n'avait pourtant préparé la Britannique de 32 ans à son passage dans la City, où elle a travaillé pendant sept ans dans une banque suisse.

Peu après son embauche, en 1995, elle est devenue directrice associée dans son département, où environ 90% du personnel de direction était masculin. Puis, elle s'est cognée au plafond de verre.

«Il faut attendre normalement quatre ans dans ce poste avant de devenir directeur, dit-elle. Après sept ans, on ne m'avait toujours pas promue.» Elle a dû menacer de démissionner plusieurs fois pour avoir un salaire comparable à celui de ses confrères.

Les virées dans les bars de danseuses avec les clients étaient monnaie courante, quand ce n'était pas carrément dans les bordels. «Je ne les accompagnais pas aux danseuses, mais je savais que ça m'empêchait d'avancer ma carrière. J'étais exclue de la clique du patron.»

Kate se souvient d'une journée où un collègue faisait sa petite enquête dans le bureau pour connaître une bonne maison de prostitution. La raison? Un client russe richissime de la banque était sur le point d'atterrir à Londres.

La culture de travail n'en était que plus sexiste, voire misogyne. Un jour, un employé a refusé de faire équipe avec elle parce qu'il trouvait ses seins «repoussants». Il a obtenu un transfert dans une autre aire de bureau.

Milieu hostile

L'expérience de Kate ne semble pas être l'exception mais la règle dans le milieu des finances londonien. De plus en plus de femmes brisent le silence pour dénoncer sa culture sexiste.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Elles sont payées 43% de moins que leurs collègues masculins. Un poste de directeur sur 10 dans les entreprises du FTSE 100 (les plus grosses entreprises cotées à la Bourse de Londres) est occupé par une femme. Pour les courtiers à la Bourse, le taux chute à 7%.

La situation est alarmante, selon Katherine Rake de Fawcett Society. «La City est un milieu hostile pour le sexe féminin, déplore la directrice du groupe de réflexion qui fait campagne pour dénoncer la situation. Et l'explosion des clubs de danseuses dans la capitale a un effet sournois sur leur environnement de travail.»

Gare à celles qui auraient en tête de fonder une famille. La moitié des femmes qui poursuivent les firmes en finances ont été punies pour si peu. En Grande-Bretagne, 30 000 travailleuses sont poussées vers la sortie pendant leur grossesse chaque année.

C'est le cas de Jessica (nom fictif), une mère de famille qui a travaillé 12 ans pour une entreprise du FTSE 100. Après son deuxième enfant, elle a été écartée pour une promotion qui lui serait naturellement revenue autrement. Un homme avec 15 ans d'expérience de moins qu'elle l'a obtenue.

Le couperet tombe lorsqu'elle attend son troisième enfant. La grossesse s'annonce difficile. Elle demande la permission de pouvoir quitter son bureau pour l'hôpital en cas d'urgence. En moins de 48 heures, son patron exige sa démission.

«Il m'a dit qu'il rendrait ma vie misérable si je restais, raconte-t-elle. J'ai tout de suite appelé mon avocat.» Après une longue bataille judiciaire, elle a obtenu une compensation financière substantielle.

L'avocate Camilla Parker se spécialise dans les cas de discrimination dans la City. Elle ne chôme pas. Elle conseille chaque année des centaines de femmes qui ont été victimes de harcèlement sexuel, et surtout de discrimination liée à la grossesse.

«Il y a beaucoup de harcèlement dans les tours de bureaux, dit-elle. J'avertis toujours mes clientes des risques qu'elles courent. Elles s'engagent dans une aventure traumatisante et doivent dire adieu à une carrière dans la City.»

Selon elle, le gouvernement britannique devrait être plus dur avec les grandes entreprises, en les obligeant à plus de transparence en ce qui concerne la politique salariale, par exemple. Seul le secteur public est soumis à des vérifications.

Douce revanche

Certaines femmes ont su tirer parti de leur passage chez les banquiers.

Polly Courtney a travaillé un an dans une grosse banque américaine où ses compétences étaient systématiquement ignorées. Au lieu de projets excitants, ses supérieurs lui donnait du travail de bureau. Elle a rebâti sa confiance en elle en écrivant un best-seller intitulé Golden Handcuffs (Les menottes dorées) qui pose un regard cynique sur son expérience. «Beaucoup de lectrices m'ont dit avoir vécu exactement la même chose», dit la jeune auteure.

De son côté, Kate Smurthwaite a aiguisé son sens de la répartie dans le «boy's club» où elle travaillait. Elle s'est lancée dans une carrière d'humoriste, un choix qui lui sourit.

«Cela m'énerve quand les gens montrent du doigt l'orientation scolaire des femmes pour expliquer leur absence en finances», dit-elle.

«J'ai fait tous les bons choix et j'ai décroché. Il y a un problème dans la City et ça s'appelle du sexisme.»