S'il y a une appellation qui trône au-dessus des autres en matière de réputation séculaire, c'est bien celle de Châteauneuf-du-Pape. Même après avoir été l'une des toutes premières à voir le jour au début du XXe siècle, sous l'impulsion du baron Pierre Le Roy, du Château-Fortia (voir photo), elle a plus que jamais la cote auprès des critiques du monde entier.

Ses vins, tant les rouges que les blancs, sont actuellement à ranger parmi les meilleurs rapports de qualité de la France vinicole. Quant à leur pouvoir harmonique à table, il n'est plus à prouver, mais plutôt à peaufiner!

Après plus de 700 ans de viticulture et 72 ans de reconnaissance officielle de l'origine, les vignerons papaux sont assurément sur les chemins de la qualité. Il suffit de penser aux grandissimes vins des châteaux Beaucastel et Rayas pour s'en convaincre. Les vins rouges, le sujet de cette chronique - je commenterai ultérieurement les blancs -, émanent d'un terroir unique, composé d'argile rouge et des fameux cailloux qui en tapissent le sol lui donnant un aspect lunaire, mais procurant surtout aux vins une pénétrante richesse aromatique et une généreuse épaisseur veloutée.

Parmi les 13 cépages qui sont autorisés à plonger leurs racines dans les entrailles de ce sol unique, le trio grenache-mourvèdre-syrah domine presque à tout coup l'assemblage. Mais le véritable seigneur, le grenache noir, représente plus ou moins 70% des surfaces plantées. Et qui dit grenache dit vin généreux, plein et complexe, aux effluves jouant dans la sphère des épices douces (cannelle, muscade, girofle), ainsi que de la torréfaction et des fruits rouges. Peuvent s'y ajouter, selon le terroir, le millésime et, surtout, la proportion de syrah ou de mourvèdre, des touches de garrigue, d'olive noire et de cuir.

Cannelle, girofle, romarin

À table, question de peaufiner l'approche mets et vins jusqu'ici explorée, l'étude des molécules aromatiques des vins dominés par le grenache, tout comme de certains ingrédients, permet de créer des unions plus justes et plus vibrantes. Puisque la lignine (la partie boisée) de la rafle du grenache contient de l'aldéhyde cinnamique, principe actif qui donne la signature aromatique à la cannelle, il faut oser marier les vins papaux avec des plats rehaussés des quatre-épices chinoises, où la cannelle entre en jeu.

D'autant plus que la cannelle contient une bonne dose d'eugénol, le principal principe aromatique du clou de girofle, aussi présent dans les parfums classiques des vins de Chateauneuf. Les versions plus modernes, élevées en barriques de chêne neuf, sont encore plus marquées par cet arôme de girofle, le chêne étant richement pourvu en eugénol.

L'harmonie régionale avec les plats parfumés de romarin est également commune. Lorsque l'on décortique le cocktail de molécules aromatiques qui compose le bouquet du romarin, on a vraiment l'impression qu'il y a accord entre certains principes actifs et les châteauneufs - et avec d'autres composés aromatiques et les blancs à base de riesling.

Girofle, boisé, conifère, camphre et fleur sont les notes qui se retrouvent tant dans l'herbe méditerranéenne que dans ces deux types de vin. Donc, lorsque les plats nécessitant un vin rouge sont cuisinés avec soit les quatre-épices, soit la cannelle, soit le romarin, soit le clou de girofle, pensez alors aux rouges dominés par le grenache.

Pour le gigot d'agneau bardé de romarin frais, c'est un vin dominé par le parfum de la garrigue comme l'historique et excellent Château-Fortia 2005 Châteauneuf-du-Pape, Baron Le Roy de Boiseaumarié, France (33,25$; 861 625) qu'il vous faut. Nez profondément riche et complexe, laissant aller avec retenue des notes d'épices douces, de romarin et de thym séché, ayant besoin d'oxygène pour leur donner de l'expressivité.

Bouche à la fois pleine, généreuse et très fraîche, ce qui étonne pour un vin à 15% d'alcool. Superbe harmonie d'ensemble, tannins mûrs à point, presque tendres, tout en exprimant un grain serré, texture détendue et saveurs longues et précises, laissant des traces de cacao, de framboise, de girofle et de cannelle. Ce qui me rappelle aussi que le même agneau, mais servi avec une sauce cannelle et poivre vert, trouve aussi écho dans ce vin.

Avec le tout nouveau coup de coeur quatre étoiles qu'est le Clos Saint Michel "Cuvée Réservée" 2005 Châteauneuf-du-Pape, Vignobles Guy Mousset et Fils, France (39,75$; SAQ SIGNATURE-10 891 417), vous dénicherez une cuvée où la proportion de syrah (30%) donne actuellement la ligne harmonique, tant par ses arômes de fumée et d'olive noire que par sa grande fraîcheur en bouche. Donc, un vin au nez expressif et passablement concentré, à l'attaque pulpeuse, sphérique et engageante au possible, mais aux tannins serrés de syrah. Après l'avoir judicieusement oxygéné en carafe pendant 45 minutes, servez-le sur un carré d'agneau farci de pommade d'olives noires.

Chez les domaines nouvellement étoilés, ne laissez pas filer le Domaine La Barroche "Réserve" 2004 Châteauneuf-du-Pape, Christian et Julien Barrot, France (41$; SAQ SIGNATURE-10 826 017), qui lui se montre actuellement dominé "aromatiquement" par la présence du mourvèdre. Le nez se montre torréfié et mûr, sans excès, passablement riche et profond, au boisé intégré. La bouche suit avec ampleur, générosité et densité, mais sans lourdeur et sans fermeté. La réglisse noire, le café expresso et les fruits noirs du mourvèdre participent au cocktail de saveurs intenses. Parfait pour un magret de canard sauce à l'anis étoilé et à la liqueur de mûres.

Quant au Domaine la Barroche "Fiancée" 2004 Châteauneuf-du-Pape, Christian et Julien Barrot, France (47$; SAQ SIGNATURE-10 826 025), vous y trouverez un Chateauneuf ramassé, compact et dense, mais avec raffinement dans la matière. Le nez retenu requiert une longue oxygénation en carafe (deux heures) pour se livrer. La bouche, pleine et dense, est aussi compacte et élancée, mais plus bavarde que le nez, laissant deviner des touches de girofle, de café et de bouillon de boeuf. Quel fruit! Un vin racé, qui ira loin dans le temps, et qui s'unira à merveille avec une pièce de viande saignante, accompagnée d'un risotto de jus de betterave parfumé au clou de girofle. Enfin, pour vous rapprocher du sublime en matière de vin papal, servez un gibier de votre choix, avec une sauce gastrique à base de fruits noirs et des cinq épices, puis dégustez la cuvée La Combe des Fous 2005 Châteauneuf-du-Pape, Clos Saint Jean, France (81$ SAQ SIGNATURE-10 927 766). Il en résulte un vin au nez à la fois concentré et raffiné, profond et pur, sans esbroufe ni boisé dominant, exhalant des notes d'épices douces, de bleuet et de framboise, à la bouche débordante de fruits, passablement dense, mais avec l'étoffe des plus grands. Voilà une bonne raison de monter à genoux les marches de l'Oratoire.

François Chartier est l'auteur du nouveau guide des vins La sélection Chartier 2008 , aux Éditions La Presse . On peut lui envoyer des questions par le blogue Internet www.francoischartier.typepad.com ou par la poste au 7, rue Saint-Jacques, Montréal H2Y 1K9

CHÂTEAUNEUFS EN HARMONIEGigot d'agneau au romarin ou agneau sauce cannelle et poivre vert

Château-Fortia 2005 Châteauneufdu-Pape, France

(33,25$; 861 625)

Carré d'agneau farci de pommade d'olives noires

Clos SaintMichel "Cuvée Réservée "

2005 Châteauneuf-du-Pape, France

(39,75$; SIGNATURE-10891 417)

Magret de canard sauce à l'anis étoilé et à la liqueur de mûres Domaine La Barroche "Réserve"

2004 Châteauneuf-du-Pape, France

(41$; SIGNATURE-10826 017)

Viande saignante et risotto de jus de betterave parfumé au clou de girofle

Domaine la Barroche "Fiancée "

2004 Châteauneuf-du-Pape, France

(47$; SIGNATURE-10826 025)

Gibier sauce gastrique à base de fruits noirs et des cinq épices

La Combe des Fous 2005

Châteauneuf-du-Pape, Clos Saint Jean, France

(81$; SIGNATURE-10927 766)