Qu'est-ce qu'un vrai beaujolais, fidèle à la tradition de ce vignoble souvent critiqué depuis quelques années?

Marchand de vin réputé, Kermit Lynch, des États-Unis, en donne la description suivante dans Mes aventures sur les routes du vin: c'est, écrit-il, «un vin rouge et léger, acide, picotant, au goût de raisin frais».

Il cite à ce propos Jean-Baptiste Chaudet, qui fut de 1940 jusqu'aux années 70, «le premier marchand de vin de Paris», autrement dit un grand connaisseur, lequel a même écrit son autobiographie (Marchand de vin).

«Un produit jeune, léger, agressif», tel était, dans le passé, l'authentique beaujolais, selon Jean-Baptiste Chaudet cité par Kermit Lynch.

Jean-Baptiste Chaudet en a contre la surproduction, mais surtout contre la «chaptalisation, cette addition de sucre au moût qui permet d'augmenter jusqu'à 3 degrés la teneur en alcool».

Il poursuit: «Cessons cette dernière, et le vin redeviendra comme avant.»

Troublant que tout cela... c'est le moins qu'on puisse dire!

Car le beaujolais que les deux hommes disent avoir aimé a plus ou moins les caractères que l'on reproche aujourd'hui à ces vins: légèreté, manque de chair réel ou présumé, une certaine agressivité des tannins - de petits tannins aigrelets, pointus, dit-on parfois.

Or, ce sont entre autres ces caractères qui font que le beaujolais se vend moins bien qu'auparavant et que ce vignoble est en crise.

Alors?

Il faut croire, tout bonnement, que les goûts changent.

En effet, même en ce qui regarde les beaujolais il est bien évident que le marché recherche désormais des vins plus charnus qu'autrefois, plus souples, plus tendres.

Le même phénomène, rappelons-le, a touché le Bordelais, avec pour résultat des bordeaux rouges aux tannins désormais nettement plus aimables et plus enrobés qu'auparavant.

«On essaie de faire des vins plus étoffés», disait sur place, tout récemment, dans l'appellation Brouilly - un des 10 crus du Beaujolais -, le grand patron et fondateur du groupe Boisset, Jean-Claude Boisset, 64 ans.

Sa fille Nathalie Bergès-Boisset, responsable des relations publiques du groupe, va plus loin encore: «On essaie par tous les moyens de sortir le Beaujolais du marasme», dit-elle.

Oenologue et directeur des achats de Mommessin (une des nombreuses marques dont Boisset est propriétaire), Patrick Vivier estime que le moyen d'y arriver est de réduire les rendements - c'est-à-dire la quantité de vin produite à l'hectare.

«Avant, ce qui était bon, c'était ce qui était productif, soulignait-il à l'occasion d'une dégustation au Château de Pierreux (Brouilly) de plusieurs vins commercialisés par Mommessin. Maintenant, on fait une taille sévère, on ébourgeonne, on fait tomber le raisin...»

Bref, si les pieds de vigne se montrent trop généreux, on fait au besoin des vendanges vertes - on coupe un certain nombre de grappes pendant que les fruits sont encore verts. Ainsi, la production est moins élevée, et les fruits ont davantage de chances de bien mûrir.

Les résultats?

On peut s'en rendre compte grâce entre autres au Brouilly 2006 Château de Pierreux (voir la recommandation de la semaine), tout à fait savoureux, qui est un beaujolais au goût du jour, sans que ce soit un vin trop dense, trop concentré.

Un Morgon

Autre cru du Beaujolais élaboré et commercialisé par Mommessin, le Morgon 2005 Domaine de Lathevalle, bien coloré comme beaujolais, au bouquet invitant, charnu, est un vin au bon goût de fruit, avec de l'éclat et du corps comme beaujolais, un peu tannique, ses saveurs étant relevées (chose fréquente dans ces vins) par un peu de gaz carbonique. Savoureux, mais il n'en reste qu'une centaine de caisses.

S, 420 257, 21,10$, *** (trois étoiles),$$ 1/2 (deux symboles et demi), 2007-2009.

Un Brouilly

Autre exemple de délicieux beaujolais, le Brouilly 2004 Vieilles vignes Jérôme Mathon (il en a déjà été question dans cette chronique il y a quelques semaines, cependant), au bouquet délicat, net, très discrètement boisé, assez léger en bouche, et d'un charme certain.

S, 10 387 270, 20,90$, *** (trois étoiles),$$ 1/2 (deux symboles et demi), 2007-2008.

Moins cher, et d'un très bon millésime, le Beaujolais Villages 2005 Georges Duboeuf se présente avec un bouquet invitant malgré une petite nuance végétale -, aux arômes comme de fraises et que l'on retrouve en bouche. Légèrement tannique et un peu astringent, il gagnera néanmoins à être servi assez frais (environ 12-13 degrés). Fort bon.

C, 122 077, 14,95$, ** (deux étoiles),$ 1/2 (un symbole et demi), 2007-2008.

Témoignage personnel (histoire de voir les choses sous un autre angle): il n'y a pas si longtemps, je me contentais de goûter des beaujolais, mais je n'en buvais jamais. Maintenant, oui, j'en bois - j'ai bu ainsi le Brouilly 2006 Château de Pierreux, le Brouilly 2004 Jérôme Mathon, le Morgon 2005 Domaine de Lathevalle... Car comment résister à de tels vins?

D'Afrique du Sud

Beaucoup de beaujolais ont toutefois le défaut d'être un peu trop chers. Rien de tel dans le cas du Western Cape 2004 Cocoa Hill, d'Afrique du Sud, très coloré, au bouquet large, de fruits noirs, et marqué par des notes comme de chocolat amer, auxquelles s'ajoutent des nuances qui donnent à croire qu'il s'agit d'un vin de Pinotage - ce fameux croisement de Pinot noir et de Cinsault mis au point dans ce pays, alors qu'il est élaboré en fait avec surtout du Cabernet Sauvignon (41%), puis de la Syrah (36%) et duMerlot (23%). Charnu, dense, ses saveurs sont bien affirmées,avec des tannins sans dureté aucune. Rien de très élégant, mais il a de l'étoffe et du corps, et pourra accompagner avec bonheur les viandes rouges. Et le prix est doux.

S, 10 679 361, 15,10$, *** (trois étoiles),$ 1/2 (un symbole et demi), 2007-2010?

Les frais de ce voyage ont été payés par un regroupement de producteurs.

DÉGUSTÉS POUR VOUSVin de Pays des Cévennes 2005 Domaine du Lys. Vin rouge du Languedoc-Roussillon, au plus moyennement corsé, velouté, facile, tout en fruit, et faisant vin de Merlot bien qu'il soit élaboré avec de la Syrah et du Cabernet Sauvignon. À prix doux. C, 474 833, 11,40$, **,$, 2007-2008.

Alsace 2005 Riesling Hugel. Vin blanc d'Alsace qui est un classique du répertoire général, passablement typé Riesling, plutôt austère dans ce millésime et, m'a-t-il semblé, sans tout à fait son panache habituel. Fort satisfaisant quand même. C, 42 101, 17,95$, ** 1/2,$$, 2007-2010.

Muscadet de Sèvre et Maine sur lie 2005 Château de la Chesnaie. Le bouquet est simple, mais franc, et il ne manque pas de corps pour un Muscadet, ses saveurs étant relevées par une assez bonne quantité de gaz carbonique. Comme la plupart de ces vins, il tiendra vraisemblablement la route. Seul bémol: il est cher. S, 10 689 614, 16,25$, **,$$, 2007-2012.

Gaillac 2005 Peyrouzelles Causse Marines. Vin rouge du Sud-Ouest de la France, au bouquet tout en fruits rouges évoquant un peu les vins de Mourvèdre par ses notes épicées. Moyennement corsé, peu tannique, c'est un vin élaboré avec à la fois deux cépages locaux (Fer servadou et Duras) et de la Syrah. Peu complexe, il plaît néanmoins par la qualité de son fruit. Fort bon. S, 709 931, 17,65$, ** 1/2,$$, 2007-2008.

LA RECOMMANDATION DE LA SEMAINEAssez bien coloré pour un vin du Beaujolais, le Brouilly 2006 Château de Pierreux, qui vient tout juste d'être inscrit au répertoire général, charme d'abord par le fruité de son bouquet, aux nuances comme de framboises, bien beaujolais, mais dépourvu de toute note végétale. Un peu plus que moyennement corsé comme vin de ce vignoble, légèrement tannique, ses saveurs brillent par leur franchise, de sorte qu'il procure autant de plaisir que des bourgognes vendus nettement plus cher. Délicieux.

C, 10754421, 19,85 $, ***, $$, 2007-2008.