«Vouz avez un corps vraiment très bien», lance sur un ton anodin le masseur chinois à la journaliste de l'AFP entre ses mains. Plaît-il? «Oui, je vois en massant vos pieds que vous êtes en excellente santé», explique le thérapeute aveugle.

C'est qu'en Chine, le massage est médical. Il permet de prévenir et de détecter les maladies, chaque organe ou partie du corps étant relié à des nerfs affleurant notamment sur la plante des pieds.

En fonction des «noeuds» décelés sous ses doigts, le masseur établit un diagnostic. Et pétrit ces zones sensibles, ce qui peut être douloureux, pour réparer. Après, l'effet de bien-être est garanti.

À Pékin, chaque rue a son salon de massage, du plus chic au plus rustique. Parfois repaire de prostituées. Et la spécialité locale, c'est le massage par des aveugles ou mal-voyants.

Privés d'un sens, les aveugles ont tendance à compenser avec une ouïe ou un toucher plus développé, expliquent les centres de formation. Cela fait souvent d'eux des masseurs plus subtils.

Pour Huang Yuan, 23 ans, un massage aveugle est souvent aussi meilleur parce que pour trouver un emploi, les mal-voyants doivent travailler encore plus dur et être techniquement plus pointus que les masseurs «normaux».

La jeune femme en blouse blanche, arrivée il y a six mois de son Jiangxi natal, porte d'épaisses lunettes qui cachent un fort strabisme. Quand elle réfléchit, elle pose son index sur le menton, dans un geste enfantin.

«Je vois les choses dans un brouillard, et rien de précis au delà d'un demi-mètre», explique-t-elle. Quand elle parle des aveugles, elle dit «nous».

En massant le crâne d'une cliente chinoise, elle dit: «Je sais que cette dame est belle, grâce à la texture de ses cheveux et la forme de son visage sous mes doigts. Elle a de très grands yeux».

Yuan ne lui trouve aucun problème de santé, sauf une raideur dans son épaule droite. «Sans doute un problème de posture et un manque d'exercice», avance-t-elle.

Dans la même pièce, Fang Guiliang, 24 ans, qui était son camarade de classe à l'école de massage, trouve que sa propre cliente «manque cruellement de sommeil». Bien vu.

«Je vois aussi que vous avez les yeux fatigués», lance le frêle jeune homme aux sourcils circonflexes. Comment repère-t-il ce détail alors qu'il dit ne distinguer que des ombres? «D'après vos pieds». Evidemment.

Dans ce salon de quartier qui ne paye pas de mine, la lumière au néon glauque éclaire faiblement des murs peints d'un rose criant, des fauteuils usés et des fils électriques épars.

Mais cet univers visuel n'indispose, le cas échéant, que les clients. Qui bénéficient d'un prix plutôt avantageux par rapport à une séance classique: 60 yuans de l'heure, soit moins de 6 euros, contre le double en moyenne ailleurs.

Les masseurs non-voyants ne gagnent pas une fortune. Payés à l'heure, ils peuvent compter en général sur plus de mille yuans par mois (100 euros). «Il y a peu de métiers pour aveugles, donc ce n'est pas si mal», note Yuan, qui dit aimer ce travail au service des autres.