Joues creusées, fesses disparues: des malades du sida qui «vont bien» grâce à un traitement efficace voient paradoxalement leur visage et leur corps déformés sous les effets indésirables des médicaments, et doivent emprunter à l'esthétique des techniques de reconstruction.

Arnaud Blanc, infectiologue à l'hôpital Bicêtre près de Paris, soigne «depuis plus de 20 ans» des patients séropositifs. Aujourd'hui, au sein de l'hôpital, il consacre une petite partie de son activité à effacer sur leurs visages les effets secondaires des antirétroviraux.

Un geste esthétique qui «procure un bien-être moral à un malade stigmatisé par un traitement, pas par une maladie, ce qui est en soi un paradoxe», explique-t-il.

Les lipodystrophies (anomalies de la répartition des graisses), à l'origine de transformations morphologiques, ne sont qu'un des aspects des importantes complications des antirétroviraux. Mais ce sont les plus visibles et elles sont souvent associées à des anomalies du métabolisme (augmentation du cholestérol, diabète...), facteurs de risque cardiovasculaire.

Le phénomène est aujourd'hui bien pris en compte par les médecins, même si son fonctionnement fait encore débat. Les médicaments les plus récents sont moins «pourvoyeurs» de changements morphologiques que les premiers antirétroviraux, mais le problème est toujours d'actualité pour le Dr Blanc.

«La principale stratégie est de tout faire pour éviter que ça apparaisse», en essayant d'utiliser des molécules considérées comme moins toxiques. Avec une limite cependant: «Le traitement c'est la vie et ça passe au-dessus de tout le reste.»

Les anomalies sont de deux types: des lipoatrophies (fonte des graisses) qui touchent le visage, les membres, les fesses ou la plante des pieds, rendant douloureuses la marche ou la position assise. Ce sont aussi des lipohypertrophies, accumulation des graisses au niveau du ventre, des seins, ou du haut du dos (bosse de bison).

Le visage émacié, la «sale tête», renvoie à l'image de la maladie, alors même que le patient va bien. Le Dr Blanc «corrige», par des injections de produit de comblement, 35 à 40 patients par an, hommes ou femmes. Parmi eux «beaucoup d'anciens toxicomanes» qui ont pourtant bien d'autres préoccupations que «l'aspect de leur tête», relève-t-il.

Le produit notamment utilisé est le New Fill, emprunté à l'esthétique. C'est une technique sûre, "bien codifiée maintenant", assure le Dr Blanc. Les injections sont faites en ambulatoire (hospitalisation en journée), majoritairement par des chirurgiens esthétiques ou des dermatologues et par quelques infectiologues.

En France, ce produit est le seul à être remboursé. Mais pour Jean-Marc Bithoun, président de l'association Actions-Traitements, "le New Fill a ses limites" et il y a d'autres produits "qui coûtent très cher".

Le Dr Blanc teste actuellement un produit susceptible de donner davantage de volume pour les grandes lipoatrophies (Eutrophill).

Les associations de patients militent aussi pour la prise en charge des lipoatrophies des fessiers, pour lesquelles les solutions relèvent de la chirurgie et sont très coûteuses.