«Ils se referment», dit-on de ces vins rouges qui, passée leur prime jeunesse, deviennent beaucoup moins aimables, tout en perdant de leur bouquet.

On pourrait ajouter à cela (mais ce n'est pas toujours le cas) que plus le vin est de qualité, plus ce phénomène de repli est marqué.

Chose tout aussi fascinante et peut-être même davantage, les vins de ce calibre, en même temps qu'ils se replient sur eux-mêmes, gagnent en profondeur et en concentration. Car, pendant cette mutation, leurs tannins se raffermissent, leurs épaules (pour ainsi dire)... s'élargissent, et on goûte alors un vin très différent de ce qu'il était au départ.

Exemple pour moi tout récent: le Bolgheri 1999 Ornellaia, goûté d'abord à l'automne 2003 et goûté de nouveau il y a quelques jours en compagnie de l'oenologue Axel Heinz, d'origine franco-allemande, et responsable des vinifications à ce célèbre domaine de Toscane depuis 2005.

À l'automne 2003, l'Ornellaia 1999, goûté... et bu dans le cadre de cet événement sans pareil qu'est Montréal Passion Vin, était un vin tendre, suave, aux tannins soyeux. Et, pour tout dire, d'un charme exceptionnel.

Depuis, il s'est littéralement métamorphosé!

Pourpre foncé, méconnaissable, il se présente désormais avec un bouquet de grande amplitude, plutôt unidimensionnel pour l'instant, avec des notes épicées rappelant un peu, à mon sens, l'odeur du thym séché. La bouche, elle, est dense, serrée, avec nettement plus de corps que précédemment, le tout cependant parfaitement équilibré. Bref, un grand vin qui est loin d'avoir donné tout son potentiel!

Goûté à la même occasion il y a quelques jours, l'Ornellaia 2002, d'un millésime beaucoup moins réputé que 1999, est pour sa part nettement plus complexe, à la fois au nez et en bouche, d'une bonne concentration, distingué, et prêt à boire. «Magnifique», ai-je noté.

Autre exemple récent: lui aussi tendre et charmeur dans sa jeunesse, et encore il y a environ un an, le Haut-Médoc 1995 Château Sociando-Mallet, goûté de nouveau il y a deux ou trois mois, n'est plus du tout le même vin.

Compact, concentré, ses tannins sont maintenant bien perceptibles, et il a même en bouche quelque chose qu'on pourrait qualifier de farouche. Il a donc gagné en concentration et en amplitude - il montre encore une fois qu'il est «bâti pour vieillir sur une, voire deux générations», comme le signalent les auteurs du guide Les meilleurs vins de France 2008 (Éditions La Revue du vin de France).

Autrement dit, on peut l'attendre sans crainte quatre, cinq, voire 10 ans ou davantage.

Ornellaia 2005

Mis en vente jeudi de la semaine dernière, mais très cher (hélas!) comme beaucoup d'autres grands vins de Toscane, le Bolgheri 2005 Ornellaia, pourpre foncé et quasi opaque, au bouquet de fruits rouges surtout, profond et en ce moment bien peu nuancé, avec aussi une petite note de pâtisserie (le bois), est un vin charnu, d'une bonne concentration, corsé, et dont les tannins restent en ce moment aimables, quoiqu'on puisse être assuré, sauf erreur, qu'ils se raffermiront d'ici quelques années. Grand vin, donc (285 caisses disponibles).

S, 908061, 159$, ****, $$$$$, 2008-2015?

Élaboré avec uniquement des cépages bordelais, soit du Cabernet Sauvignon (60%), du Merlot (22%), du Cabernet franc (14%) et du Petit Verdot (4%), puis élevé 18 mois en fûts de chêne français, dont 70% de fûts neufs, sans doute, en fait, tiendra-t-il la route au-delà de 2015.

D'autres 2005

En Toscane, 2006 a été un meilleur millésime que 2005, expliquait ce soir-là Axel Heinz. Cependant (qui l'ignore?), 2005 a été pour à peu près tous les vignobles de France - à l'exception de l'Alsace -, un très grand millésime.

Or, les 2005 ont en règle générale une qualité de fruit, un éclat qui ne peuvent tromper et qui sont la signature des grands millésimes.

Exemple, et dans une appellation modeste, le Bordeaux Supérieur 2005 Merlot Château Penin, pourpre foncé bien que la robe demeure transparente, et élaboré avec seulement du Merlot, puis élevé 12 mois en fûts dont un tiers de fûts neufs. Vin au beau bouquet de fruits rouges, discrètement boisé, plutôt unidimensionnel, il ne peut néanmoins que ravir par sa franchise le plus exigeant des dégustateurs.

La bouche suit, plus que moyennement corsée, tendre, avec des tannins ronds, flatteurs. Très bon, donc (143 caisses).

S, 10862958, 21,40$, ***, $$ 1/2, 2008-2012?

Moins cher, le Premières Côtes de Bordeaux 2005 Château du Grand Mouëys, tout aussi coloré que le précédent, est de style fort différent. Le bouquet, ample, profond, associe fruits noirs et fruits rouges, avec aussi une nuance de mine de crayon sans doute attribuable à son élevage de 12 mois en fûts, dont également un tiers de fûts neufs. Plus corsé que le Château Penin, un peu carré, ses tannins sont fermes, quoique sans rugosité. Et, manifestement, tout indique qu'il ira un peu plus loin (180 caisses).

S, 10864443, 18,80$, ***, $$, 2008-2013.

LA RECOMMANDATION DE LA SEMAINE

Typé Riesling, mais à l'australienne, avec par conséquent quelque chose comme une nuance évoquant l'odeur du jute, le Eden Valley 2007 Riesling Barossa Grant Burge, un brin sucré (5,5 grammes de sucre résiduel), moelleux en bouche, mais qui a malgré tout du corps et du tonus grâce à une bonne dose d'acidité, est un vin à boire avec, par exemple, un dessert peu sucré, ou encore, comme le font les Allemands, pour lui-même en soirée. Très bon à sa manière, mais s'abstenir si on n'aime que les vins blancs secs. S, 10257070, 18,75 $, ***, $$, 2008-2015 ?

DÉGUSTÉS POUR VOUS

Beaujolais 2005 Chardonnay Jean-Paul Brun. Rares sont les beaujolais blancs... En voilà un exemple, d'une belle couleur un peu paille, au bouquet mûr, net, et au boisé très discret, bien qu'il soit vinifié en fûts. De corps moyen, ses saveurs, relevées par un reste de gaz carbonique, ont un charme certain (85 caisses). S, 713 495, 21,40$, ***, $$ 1/2, 2008-2009.

Médoc 2003 Château Ramafort. Très beau bordeaux rouge toujours fiable. Le bouquet, bien Médoc, s'enrichit d'une note de graphite, ou mine de crayon (le bois), et le vin ne manque pas de corps, avec des tannins de qualité et, dans l'après-goût, des arômes rappelant le tabac, genre havane. Fait à parts égales de Cabernet Sauvignon et de Merlot, il est élevé un an en fûts. Impeccable (193 caisses). S, 608 596, 24,70$, ***, $$$, 2004-2013.

Chassagne-Montrachet 2005 Château de la Maltroye. Bien coloré pour un bourgogne, son bouquet est distingué, fin et passablement épicé (le bois) sans que ce soit excessif. La bouche est serrée, et même un peu austère. Néanmoins déjà savoureux, il promet de tenir la route encore un bon moment (77 caisses). S, 872 721, 42,50$, *** 1/2, $$$$, 2008-2014.

Saint-Joseph 2005 Sainte-Épine Delas. Vin de la vallée du Rhône, de Syrah, dense, concentré, très fruits noirs au nez et en bouche, aux tannins bien présents et un peu raides, et élevé 14 mois en fûts, dont 10% de fûts neufs. Solide, non sans austérité lui aussi, et très réussi dans son genre (133 caisses). S, 10 808 361, 44,25$, *** 1/2, $$$$, 2008-2012.