Certains créateurs de mode aiment bien mettre leur nom ou leur logo sur tout ce qu'ils font pour que l'on sache quelle est leur importance. D'autres préfèrent produire tout simplement du travail de qualité et laisser aux autres le soin de décider quelle influence ils devraient avoir.

Le Belge Dries Van Noten est l'un de ces créateurs et si son nom n'est pas encore très familier, les initiés du monde de la mode sont persuadés qu'il devrait l'être. Les vêtements de Van Noten sont portables, presque pratiques, mais dans des tissus si riches et si intéressants que le coup d'oeil est tout, sauf ennuyant.

Le mois dernier, le Council of Fashion Designers of America (CFDA) lui a remis le prix du meilleur créateur de mode international de l'année et de grands détaillants tels que Neiman Marcus sont emballés par ses collections actuelles et d'automne.

«Il s'approche tranquillement du devant de la scène et il a une telle influence. Tout le monde observe ce qu'il fait», constate Ken Downing, responsable de la mode chez Neiman Marcus.

La tendance printemps-été des motifs floraux vient directement de l'atelier de Van Noten, soutient M. Downing, ajoutant: «Il inspire tant de gens, que ce soit conscient ou non. Et c'est entièrement une affaire de style personnel. Cinq femmes peuvent porter du Van Noten et vous verrez cinq femmes avec des looks complètement différents.»

En personne, Van Noten ressemble davantage à un banquier ou à un avocat issu d'une petite ville et peut-être même d'une époque révolue. Ses cheveux grisonnants sont coupés courts et en ce jour, au restaurant de l'hôtel Carlyle, il porte un complet gris mille-raies, une chemise à col boutonné, un t-shirt blanc qui ressort et pas de cravate.

Il dit qu'il tente de faire appel à la technologie la plus moderne lorsque nécessaire et pourtant, il aime, dès qu'il le peut, se retirer dans la campagne belge entouré de fleurs.

«Il faut les deux pour bien vivre », dit-il d'une voix douce.

Lorsque Diane von Furstenberg, présidente de la CFDA, a tenté de contacter Van Noten par téléphone le printemps dernier pour lui annoncer qu'il avait remporté le prix de l'organisme, elle a eu du mal à le joindre. Ce qui a accentué son image d'artiste indépendant dans un monde de la mode de plus en plus dominé par l'entreprise.

Van Noten se souvient: il avait oublié son cellulaire dans son bureau aménagé dans un entrepôt de 5575 mètres carrés où s'étaient réfugiées des troupes allemandes et puis alliées au cours de la Deuxième Guerre mondiale, et il y avait un effroyable orage cet après-midi-là. «C'était comme dans un film d'horreur minable, avec des lumières qui s'allument et qui s'éteignent », raconte-t-il.

Diane von Furstenberg a fini par obtenir la communication à la maison de Van Noten, mais il y avait beaucoup de friture sur la ligne. Le créateur a saisi «J'ai une nouvelle pour vous » et quelque chose à propos d'un prix. Elle a été obligée de répéter plusieurs fois le passage où il était question d'un prix, explique-t-il en riant.

Van Noten, 50 ans, vient d'une famille active dans la mode, mais son grand-père et son père, qui étaient tous deux des tailleurs, étaient plus attirés par la vente au détail. Cet aspect des affaires n'intéressait pas Van Noten. Il a donc acquis ses connaissances en assistant à des défilés de mode avec son père.

Après une éducation chez les jésuites (qui lui ont donné un sens moral, dit-il), il a suivi des cours de mode à l'Académie royale d'Anvers.

«Mon père pensait que j'allais poursuivre dans l'achat et la vente, et il n'était pas très content lorsque j'ai opté pour le design. J'étais le seul de quatre enfants à s'intéresser à la mode, raconte Van Noten. Aujourd'hui, il est bien heureux de mon choix. »

Il a lancé sa collection en 1986 et Barneys New York l'a adoptée presque immédiatement. Les affaires ont crû constamment depuis lors, mais toujours à un rythme gérable, dit-il.

De vivre en Belgique plutôt qu'à Paris, Milan ou même New York lui permet d'être une gloire locale.

La réputation de la Belgique à titre de laboratoire de mode indépendante et expérimentale s'est enrichie tandis que de jeunes étudiants de partout dans le monde viennent solliciter des financiers prêts à les soutenir, explique-t-il.

Van Noten, dont les activités sont entièrement autofinancées, déplore que la mode soit devenue une affaire homogène à l'échelle planétaire. Il lève cependant son chapeau devant la poignée de ses pairs qui obtiennent d'énormes succès commerciaux grâce à leurs collections encore créatives. Mais ça ne l'intéresse pas de faire partie de ce groupe.

«Le système «normal»de la mode est devenu une grosse machine et je crois qu'il peut tuer la mode, dit-il. Tous les magasins ont l'air pareil. C'est pareil, pareil, pareil. Vous avez des pré-collections, des collections «croisière». Il y a trop de collections, mais un seul cerveau et il faut du temps pour nourrir la créativité. »

Chaque look commence avec le tissu et l'inspiration relative à ce tissu peut venir de n'importe où, explique-t-il. Elle peut venir d'un objet aussi simple que la couleur de l'encre qui coule d'une plume. Dans ce cas, il tente de créer une histoire complète à partir de ce détail.

«Je pense à la plume, à la femme qui la tient. Quelqu'un l'a-t-il laissée là? Quelqu'un l'a-t-il perdue? »

Au fil du temps, il étoffe l'histoire et il a une vision de sa prochaine collection.

«Je compare les créateurs de mode à une éponge, dit-il. Ils absorbent des impressions de tout. Lorsque vient le temps de réaliser une collection, vous tordez l'éponge et il en sort un mélange d'impressions des quelques derniers mois.»