Sur les podiums, les mannequins masculins vêtus de Prada et de Dior défilent, filiformes et imberbes. Malgré une percée de l'homme au naturel, poilu et baraqué, l'industrie de la haute couture emploie encore principalement de très jeunes adultes aux attributs juvéniles. Une tendance à laquelle Montréal se soustrait de plus en plus, constatent les agences de mannequins.

«Les designers du Québec ont toujours, dans une certaine mesure, privilégié les gars qui ont l'air de vrais gars. Mais cette année, on sent que ça va plus loin. On a même fait des photos dans lesquelles on voit des poils sur la poitrine! C'est une première pour nous!»

Marie-Josée Trempe, propriétaire de l'agence de mannequins Specs à Montréal, dans le domaine de la mode depuis près de 30 ans, admet elle-même être confuse face à la demande des designers d'ici et d'ailleurs. Alors qu'à Paris, New York, Milan et Tokyo, les créateurs font principalement appel à de jeunes hommes à peine pubères, le marché montréalais se positionnerait différemment, avec des mannequins à la carrure plus prononcée, voire une ou deux tailles plus costauds qu'ailleurs.

«Montréal ne crée pas la tendance. Habituellement, il la suit, tempère Mme Trempe. Mais là, je sens qu'on bascule dans quelque chose d'autre. On ne demande plus aux vrais hommes de se cacher.»

Généralement, les hommes virils à la mâchoire carrée, les épaules larges et arborant une barbe de deux jours, tapissent les magazines populaires. Ils sont là pour vendre un produit au consommateur qui doit se reconnaître dans l'image que reflète une marque.

Ils n'apparaissent toutefois qu'épisodiquement sur les podiums de la haute couture, supplantés par des hommes plus jeunes, plus minces, moins poilus.

«À Paris, l'homme est encore très éphèbe. Davantage même que l'homme de Milan, constate le designer québécois Philippe Dubuc. Paris est une capitale plus avant-gardiste dans son casting, plus bizarre... Il y a cinq ans, quand j'y présentais mes vêtements, mes créations étaient trop grandes pour les mannequins.»

Pourtant, Philippe Dubuc apprécie les hommes minces, élancés, au visage pointu. Un style qu'il affectionne depuis de nombreuses années.

Ses mannequins sont plus filiformes que ceux que recherche le designer Patrice Soku. Les épaules larges, les muscles pectoraux saillants et la barbe d'hier, les hommes présentant ses vêtements s'approchent davantage de ceux qu'on voit dans la publicité.

«Il n'y a pas que moi, remarque le créateur. Au Québec, on voit plus d'hommes plus carrés. C'est la demande ici. Mais en Europe, c'est tout à fait différent. Ça n'a rien à voir.»

Les agences doivent donc s'adapter. Parfois au prix d'une certaine jonglerie. «C'est parfois un problème pour moi parce que j'aime présenter des hommes plus carrés, dit Michael Davantes, propriétaire de l'agence Belle Mundo. Mais à Paris, New York, Tokyo et Singapour, le modèle en demande c'est le skinny man, jeune, sans trop de formes. J'en ai même envoyé un qui a été refusé sur place parce qu'il ne correspondait pas suffisamment à ces critères.»

L'éphèbe a toujours la cote sur les podiums, mais il se glisse à l'occasion quelques mannequins plus virils dans les défilés. Ç'a été le cas notamment chez Louis Vuitton et Gucci à l'occasion des collections printemps/été 2008. Chez Gucci, on a même noté le retour discret... de la moustache!

Une tendance mondiale, que celle de l'homme plus masculin? «Tout à fait, affirme Patrice Soku. George Clooney et le type d'homme que les gens veulent voir. Il est très beau quand il a de la barbe. C'est lui qui représente l'homme sexy de nos jours. On veut un homme capable de prendre soin de sa peau, mais qui peut rester un homme.»

Diane Pacom, sociologue et professeure titulaire à l'Université d'Ottawa, croit que cette tendance est le retour prévisible du balancier. «Peut-être aussi que les femmes sont plus à l'aise face à ces hommes plus virils. On a traversé une période féministe où le rapport homme-femme a été remis en question. Maintenant, les femmes trouvent à nouveau ces hommes-là plus attirants, et elles ne se sentent plus menacées. Ces changements se reflètent au niveau de la mode parce que cette masculinité est esthétique, moins machiste.»

Jeunes, filiformes... et masculins

«C'est une vieille mentalité de voir les hommes filiformes comme des hommes sans virilité. Les Italiens sont reconnus pour leur masculinité, et pourtant, ils sont minces et ils aiment la haute couture!»

Le designer Philippe Dubuc s'impatiente légèrement quand il est question de la virilité des mannequins jeunes et minces. Minces et dans la jeune vingtaine, la plupart des hommes qui portent ses vêtements dans les défilés affichent des caractéristiques très européennes.

Rien à voir, donc, avec les pattes d'oie sympathiques et la carrure de George Clooney. "Je privilégie évidemment la jeunesse, explique-t-il. C'est à ce moment-là que les hommes s'intéressent particulièrement à la mode. Dans la trentaine et la quarantaine, les priorités sont parfois ailleurs. J'aime aussi présenter une certaine intemporalité. D'où les hommes filiformes."

Parce qu'il préfère tout de même présenter l'homme avec une touche de rusticité, Philippe Dubuc apprécie la barbe de deux jours et les cheveux en bataille. Un style qui, dit-il, convient parfaitement aux Québécois. Des hommes virils, à l'aise avec leur sexualité, mais capables de prendre soin de leur corps.

Rustique, oui, mais sans aller jusqu'au laisser-aller. "Je me permets de dire aux hommes de bouger un peu, d'aller au gym s'il le faut, prévient le créateur. Ils vont être mieux dans leur peau s'ils mangent mieux. Et ils vont mieux paraître."

Il semblerait que ces propos trouvent leur écho auprès des jeunes consommateurs. Plus que jamais au cours des dernières années, constatent les professionnels de l'industrie de la mode, les hommes s'intéressent à ce qu'ils portent, à l'image qu'ils projettent.

"Les jeunes hommes d'aujourd'hui y sont très sensibles, croit Françoise Dulac, sociologue spécialisée dans le domaine de la mode, professeure à l'École supérieure de mode de Montréal. Il y a 20 ans je n'aurais jamais cru entendre un jour des hommes discuter de griffes et de mode dans une file d'attente. Pourtant, ça m'est arrivé il y a quelques jours! Je dirais qu'ils sont même plus sensibles aux marques que les femmes, simplement parce que le choix vestimentaire masculin est plus limité."