«Je suis un paresseux», disait la pancarte que devait porter dans le dos, sur le chemin de l'école, Bernard Magrez, à l'âge de 8 ans.

Petit entrepreneur en construction, son père cherchait ainsi à secouer son fils. Quelques années plus tard, estimant la cause perdue, il le sortit de l'école et le plaça dans un centre d'apprentissage, dans le sud de la France.

«J'avais 13 ans, raconte Bernard Magrez. J'étais nul à l'école. Là-bas, dans le Sud, j'ai appris le métier pour affûter les scies pour le bois.»

Maintenant âgé de 71 ans, toujours alerte, Bernard Magrez - l'exemple parfait du self-made-man à l'américaine - possède aujourd'hui plus de 20 domaines viticoles, dans huit pays, dont l'Argentine, le Chili, les États-Unis, le Maroc, etc.

«J'ai 1100 hectares de vignes», dit-il, sans prétention, mais visiblement très fier de sa réussite.

Originaire du Bordelais, il possède dans cette région une douzaine de châteaux.

Trois de ces propriétés sont des crus réputés, dont l'un, le Pessac-Léognan Château Pape Clément, compte parmi les plus prestigieux domaines du Bordelais. Les deux autres sont le Haut-Médoc Château La Tour Carnet, 4e grand cru classé du Médoc, et le Saint-Émilion Grand cru Château Fombrauge.

C'est pourtant un domaine d'Espagne, Patiencia, dans l'appellation Toro, d'une superficie de 40 hectares, et le vin rouge qu'il y produit avec du Tempranillo qu'il affectionne tout particulièrement. Pourquoi?

«C'est un vin qui est fait sur des terres très difficiles, très pauvres. Il fait très chaud le jour, et froid la nuit. C'est entre la Rioja et la frontière portugaise. J'aime les choses que l'on réussit quand c'est difficile. Parce que ma vie a été difficile. À Bordeaux, il y a 90 % des gens qui ont hérité. Moi, je n'ai pas hérité. À Toro, c'est un terroir ingrat, la vigne souffre, mais fait un vin extraordinaire de richesse. C'est une espèce de symbole de ma vie», dit-il.

Il ajoute, un peu plus tard : «Il ne faut jamais renoncer (...) Je dis que la souffrance, ça paie toujours, souffrir est une école magnifique.»

Simple ouvrier chez le négociant Cordier à 19 ans («Je travaillais dans le chai.»), il put, au début de la vingtaine, acquérir une petite société, Greloud, appartenant à deux frères très âgés du même nom.

«Ils achetaient du porto en barriques, ils le mettaient en bouteilles et ils le vendaient à des restaurants», raconte-t-il.

Il put racheter Greloud grâce à un prêt, sur 10 ans, à un «taux élevé de 13-14 %», que lui consentit un banquier qui partait à la retraite. «Il avait plus confiance en moi que moi en moi», fait observer Bernard Magrez.

Non millésimé, ce porto était vendu sous le nom de Pitters. « Pour lui donner plus d'ampleur et une image internationale «, il lui ajouta le prénom William, par admiration... pour la très belle nageuse américaine Esther William.

«C'était en 62-63, il y avait le développement des hypermarchés, qui n'achetaient que des marques connues, et ils cassaient les prix», note-t-il.

Mais son William Pitters était inconnu.

Cependant, à la suite d'un voyage au Portugal, il réussit à obtenir de fournisseurs un porto millésimé, qui serait embouteillé là-bas, et qui fut baptisé du même nom.

Ainsi, il réussit à persuader le premier hypermarché à avoir ouvert ses portes en France, le Carrefour Sainte-Geneviève-des-Bois, à lui acheter de son William Pitters. Qu'il leur vendait au même prix que les portos non millésimés et mis en bouteilles en France de Sandeman, Croft, etc.

La chance venait de tourner...

William Pitters devint ensuite un groupe, avec une gamme élargie, des whiskies, du vin espagnol, etc.

«Je me suis dit «t'es à Bordeaux, pourquoi t'essaierais pas de vendre du vin de Bordeaux?» J'ai créé la marque Malesan en 1977», poursuit Bernard Magrez.

Produit en rouge, blanc et rosé, ce vin d'appellation Bordeaux était devenu, en 2000, «la première marque de bordeaux en France, avec 11 millions de bouteilles vendues».

À un moment, il pensa à implanter Malesan un peu partout dans le monde, mais, dit-il, «il y avait devant moi de grands groupes avec des moyens financiers plus importants que les miens».

Persuadé alors que l'avenir du bordeaux était dans le milieu et le haut de gamme, il commença à penser à vendre.

Et, en même temps, il se mit à acheter. Le premier domaine du Bordelais qu'il ait acquis, au début des années 80, fut le Médoc Château Les Grands Chênes. Suivit, quelques années plus tard, le Château Pape Clément.

«Pape Clément, je l'ai payé en trois fois. J'ai acheté une part, une autre, etc. Aujourd'hui, j'ai 100 %», dit-il.

Il poursuit : «Le dernier achat important, c'est au Chili, à Colchagua. J'ai acheté une colline, j'ai 200 hectares, je suis en train de la planter. Cabernet Sauvignon, Merlot et Syrah.» Entretemps, il a vendu en 2003 la Marque Malesan au grand groupe de vins Castel, puis William Pitters en 2005 aux spiritueux Marie Brizard.

Deux hommes pour qui il éprouve manifestement beaucoup d'admiration l'ont accompagné dans son parcours.

D'abord, inconnu en dehors du milieu du vin, l'ingénieur-agronome Jean Cordeau, aujourd'hui à la retraite.

«Jean Cordeau regarde le terroir, la terre, et il dit « il faut acheter là ou là «. C'est un magicien comme l'est Michel Rolland pour l'assemblage des vins. Jean Cordeau m'a conseillé sur tout.»

Le second est le célèbre oenologue - Michel Rolland -, qui est consultant sur tous ses domaines. «C'est un génie, dit Bernard Magrez. Il fait des assemblages, c'est de la magie, ça ne s'explique pas.»

Il ajoute au sujet de cet oenologue qui commença à travailler avec lui en 1993, au Château Pape Clément : «C'est aussi un génie pour choisir la date des vendanges. D'autres utilisent toutes sortes d'instruments. Lui choisit en croquant les raisins. Il goûte le fruit. Lorsqu'il constate que les pépins sont mûrs, aoûtés, marrons, sans astringence, que la peau commence un peu à flétrir parce que le grain perd de son eau, il choisit pile. Ce n'est pas copiable.»

Comme on le reprochait à feu-Émile Peynaud, le grandoenologuee bordelais, on reproche aujourd'hui à Michel Rolland de faire des vins tous pareils, de gommer les terroirs.

«La négation des terroirs, dire qu'on ne respecte pas un terroir, ce n'est pas possible, affirme Bernard Magrez. Le terroir, c'est l'élément numéro un qui donne sa typicité au vin, ça ne s'efface pas.»

DÉGUSTÉS POUR VOUS

Brouilly 2005 Antonin Rodet . Autre très bon beaujolais, au généreux bouquet de fruits rouges. Dépourvu de toute note végétale, il ne manque pas de corps comme beaujolais. Tannique et légèrement astringent, il renferme un peu de gaz carbonique, ce qui en accentue le fruit. Très réussi.

S, 10368010, 22,85 $, ***, $$ 1/2, 2007-2009 .

Columbia ValleyMerlot Grand Estates Columbia Crest. Vin rouge de l'État de Washington, Merlot, richement coloré, au bouquet de bonne ampleur, dense, marqué par des notes boisées tendant un peu vers des odeurs de sciure de bois. Bien en chair, d'une bonne concentration, ses tannins sont gras, aimables. Très bon.

S, 10748451, 19,95 $, ***, $$, 2007-2009.

Bergerac 2004Seigneurs de Bergerac. Vin rouge du Sud-Ouest de la France, fait de Merlot (45%), de Cabernet Sauvignon (45 %) et de Cabernet franc (10%), au bouquet simple, mais net, et dominé par le Merlot, avec une note sucrée. Moyennement corsé, tout en fruit, c'est un vin peu tannique, facile. À prix doux.

C, 10668080, 12,90$, **, $ 1/2, 2007-2008.

Mendoza 2004 Cabernet Sauvignon Ruca Malen . Vin rouge d'Argentine, pourpre-grenat et bien coloré, corsé, compact, aux tannins plutôt rudes et comme granuleux. Gros vin, et plutôt carré, pour amateurs de vins concentrés, 14,8 % d'alcool. Quand même fort bon dans son genre.

S, 10693162, 17,95$, **1/2, $$,2007-2009.