En faisant un petit pas de course dans le Beaujolais, au pied de la butte solitaire de Morgon, par un frais matin de mi-septembre, ma foulée m'a amené tout près d'un groupe de vendangeurs d'où émanaient de forts accents québécois.

Un groupe de jeunes du Québec, étudiants sans doute, qui se préparaient, dès 7 h du matin, à une longue journée de vendanges dans les vignes bien mûres. Charmante scène bucolique répétée chaque année ce temps-ci dans les vignobles où l'on cueille obligatoirement à la main (le Beaujolais et la Champagne, notamment).

Des groupes d'environ deux douzaines de vendangeurs débarquent au petit matin de camionnettes blanches et fondent sur les raisins comme un essaim d'abeilles sur un champ de trèfles en fleur.

«Il faut compter environ une journée par hectare pour 20 vendangeurs», m'explique un vigneron-récoltant (littéralement, dans son cas!), croisé quelques kilomètres plus loin.

Des scènes bucoliques, associées à la fête, à l'abondance, à la récompense d'un an de labeur et d'espoir.

Ça, du moins, c'est l'image un peu carte postale que l'on se fait des vendanges. La réalité est moins poétique, selon plusieurs vignerons rencontrés dans leurs vignes, il y a quelques semaines en Beaujolais, en Champagne, en Savoie, dans la vallée du Rhône et dans le Languedoc.

Les vendanges, comme tant d'autres choses dans le merveilleux monde du vin, sont devenues une opération - une autre - de la business. Une opération très contrôlée par l'État, soumise à des nouvelles règles (françaises, dans le cas présent) et sujette aux aléas de la conjoncture politique dans la Communauté européenne.

«C'est fini, la grande fête des vendanges, fini! lance Philippe Cudel, un petit producteur de champagne établi à Colombé-la-Fosse (100 000 bouteilles par année). Avant, on se retrouvait en famille, entre copains, avec les gens du coin et des vendangeurs étrangers, on mangeait tous ensemble dans une grande pièce, à la bonne franquette, en buvant un coup et les gens dormaient sous la tente ou à la ferme. Maintenant, avec les nouveaux règlements, il faut leur fournir des logis, avec des douches et des sanitaires, ce qui coûte bien trop cher pour deux ou trois semaines par année.»

Comme tant d'autres, la famille Cudel s'en remet donc aux «vendangeurs itinérants», des Turcs surtout, qui se déplacent de vignoble en vignoble avec leur roulotte du début septembre à la mi-octobre.

«Avec les Turcs, c'est travail, travail, travail! reprend M. Cudel. Avec eux, pas une goutte d'alcool, pas de pause, c'est travail, travail, travail. Et ils ne boivent que de l'Orangina!»

Pas que les producteurs se plaignent de l'efficacité des travailleurs turcs ou autres, mais les nostalgiques s'ennuient tout de même de la belle époque des banquets improvisés sur les grandes tables en bois au milieu de la cour, après une rude journée de vendanges.

En cette vendange 2010, un nouveau phénomène touche les vignobles français: la chasse aux Roms (appelés aussi les «gens du voyage») par les autorités françaises a fait fuir des familles qui revenaient depuis des années pour la cueillette, en Beaujolais et en Champagne, notamment.

Ici et là, derrière les fermes, on voit quelques camps roms, avec leurs roulottes et leurs installations de fortune, mais plusieurs n'osent plus se déplacer de peur de se faire chasser.

D'autres cueilleurs prennent le relais. La crise économique, particulièrement violente en Espagne, notamment, force des gens à chercher les petits boulots au nord du continent. Le salaire minimum français (8,86 euros/heure) étant plus élevé qu'ailleurs en Europe, bien des Espagnols (jusqu'à 14 000, selon certaines estimations) prennent la route des vignobles de l'Hexagone pour tirer le maximum de fric pendant les quelques semaines des vendanges.

Un cueilleur efficace peut gagner entre 60 et 80 euros par jour, selon son efficacité, mais les vignerons, particulièrement ceux qui cultivent en terrains escarpés et difficiles, offrent plus à leurs vendangeurs expérimentés.

Cela dit, malgré les changements politiques des dernières années, les vendanges restent une expérience unique, pour les jeunes en particulier. Et comme il manque toujours de vendangeurs, tout volontaire un peu dégourdi peut se trouver un peu de boulot dans la vigne.

Rien qu'en Beaujolais, cette année, on estime que 50 000 personnes ont participé aux vendanges.

MOINS DE 20 $

Château l'Hospitalet Réserve Coteaux du Languedoc La Clape 2007, 10 920 732, 18,85$

Dégusté récemment au domaine même, dans cette magnifique micro-région de la Clape entre Narbonne et Narbonne-Plage (un tel contexte aura-t-il prédisposé favorablement mes papilles? Possible, je l'avoue...). Une introduction classique des vins de la Clape (Syrah, mourvèdre, grenache), tout en fruits noirs bien mûrs.