Les Gouttes de Dieu. C'est le nom d'un manga japonais dont l'histoire tourne autour du grand vin. Son succès a été fulgurant, au Japon surtout, mais aussi dans le monde entier, et tous les vins qui y sont mentionnés ont connu des hausses considérables des ventes.

Jean Pierre Amoreau, vigneron à Saint-Cibard, dans les Côtes de Francs en région bordelaise, se réjouit un beau matin lorsqu'il reçoit plusieurs commandes de vin en provenance du Japon. Puis, les appels et les télécopies se multiplient. Un couple de Japonais vient même cogner à sa porte. Ils réclament tous le même vin: Château Le Puy 2003. Lorsqu'on explique à M. Amoreau que son vin a été nommé dans la série télévisée inspirée des Gouttes de Dieu, sa réaction est immédiate: il retire le vin de la circulation, afin d'éviter toute spéculation.

«Je ne veux pas que mon vin devienne hors de prix. Je veux qu'il reste accessible à tous nos clients qui l'achètent depuis des années», explique Jean Pierre Amoreau.

Je ne sais pas pour vous, mais moi, je trouve ça admirable. À Bordeaux en plus, qu'on associe volontiers au commerce, à la finance, aux grands domaines gérés par des institutions... C'est facile de critiquer Bordeaux. Toute une génération de jeunes amateurs et professionnels rejette ses vins du revers de la main. Parce que c'est vieux, c'est gros, c'est convenu, c'est régi par la grande industrie, que la chimie y est très présente. Bla, bla, bla. Un, il y en a partout des comme ça et, deux, depuis quand est-ce que vieux ou gros veut dire pas bon? C'est tout plein de clichés.

Les premiers grands vins que j'ai goûtés, et les premiers vieux vins, étaient de Bordeaux. La capacité des bons vins bordelais à résister gracieusement au passage du temps m'épate toujours. Comme partout, il y a des gens qui travaillent bien, et d'autres moins. Mais le bon bordeaux, élaboré dans le respect de son terroir, reste pour moi un grand classique, un vin qui peut être émouvant et qui n'a pas son pareil pour passer l'épreuve du temps.

Bio depuis plus de 400 ans

Les vins de la famille Amoreau sont de ceux à qui le temps ne fait pas peur. Après tout, ils trouvent leurs racines dans une tradition de plus de 400 ans. Pascal Amoreau, le fils de Jean Pierre, est de la 14e génération de vignerons sur le domaine, où la culture de la vigne a commencé en 1610. Le vignoble, aujourd'hui certifié en bio et en biodynamie, n'a jamais connu d'insecticide ou de pesticide de synthèse, ni d'engrais chimiques. Et la famille n'en fait pas un cas: M. Amoreau raconte que ce n'est pas seulement par conviction que son grand-père a refusé les produits chimiques, mais surtout parce qu'il était trop radin pour les acheter ! C'est tout simplement comme ça qu'ils font depuis toujours : ils cultivent la terre avec respect pour la faire fructifier.

Situé à l'extrémité orientale de la région bordelaise, sur son point culminant, à 107 m d'altitude, et sur le même plateau calcaire que Saint-Émilion, le domaine compte 100 hectares, partagé à parts presque égales entre vignes et zones sauvages: forêts, étangs, champs et arbres fruitiers. La préservation de la biodiversité est au coeur de l'activité du domaine. Les vinifications sont aussi très naturelles : levures indigènes, pas de chaptalisation, pas d'ajout de soufre (ou en doses homéopathiques) et de longs élevages en foudres et vieilles barriques. L'encépagement est dominé par le merlot, comme il l'est en général sur la rive droite, complété par un peu de cabernet sauvignon, de cabernet franc, de malbec et de carménère, pour une grande partie complantés, avec un âge moyen de 50 ans. Un peu de sémillon vient compléter le tout.

Plus de 85 % de la récolte va à l'élaboration de la cuvée Émilien, la petite cuvée si on veut, même si de petites cuvées, il n'y en a pas chez Le Puy. La qualité de ce premier vin, son authenticité, sa singularité, expression d'un terroir exceptionnel et d'un travail méticuleux, empreint de passion et de modestie, en font un grand vin, à mes yeux. Et il coûte 28 $. Il n'y a pas que le respect de la terre qui compte, mais aussi celui des gens.

La notoriété apportée par Les Gouttes de Dieu aurait permis à M. Amoreau de vendre son vin beaucoup plus cher, il ne l'a pas fait. C'est une vision à long terme, bien sûr, pour fidéliser et conserver sa clientèle, mais c'est aussi une vision ancrée dans la tradition: parce qu'un vrai vigneron fait du vin pour qu'il soit bu et partagé, et non pas pour qu'il devienne un objet de culte ou de spéculation.

Et les vins du Château Le Puy, on ne se fait pas prier pour les boire.



Quatre vins à découvrir

Château Le Puy Émilien Francs Côtes de Bordeaux 2015

Fidèle à lui-même, le vin fait preuve d'une pureté et d'un soyeux remarquables. Peu importe le millésime, le terroir de Le Puy et la sensibilité des vignerons s'expriment toujours par une remarquable alliance de fraîcheur et de sensualité dans les vins. Dans ce millésime de chaleur, le fruit s'exprime avec richesse, mais toujours aussi avec ces notes de coeur de sous-bois, de truffe, de cèdre et d'encens. Un vin complet et rassasiant, qui combine parfum et texture séduisante, déjà délicieux à boire. Mais sa matière mûre, son équilibre et ses tannins d'une grande finesse, qui donnent l'impression d'être déjà fondus, sauront le porter pendant des décennies.

28,45 $ (709469) 13 %, bio

Château Le Puy Barthélémy Francs Côtes de Bordeaux 2010

La cuvée Barthélémy, issue d'une parcelle de trois hectares, appelée «les Rocs», complantée de 85 % de merlot et 15 % de cabernet sauvignon, est la «grande» cuvée du domaine. Elle représente moins de 10 % de la production. Tout est plus intense, plus profond et plus complexe, mais toujours avec cette signature de finesse et d'harmonie. Et ces arômes envoûtants d'humus, de vieux cuir, d'encens qui se déclinent ici autour de la tarte aux prunes et de la cerise confite. Un magnifique cadeau à offrir, il est déjà très agréable à boire, mais je le garderais au moins six ou sept ans, et il évoluera gracieusement sur des décennies. Le premier millésime de Barthélémy, 1994, dégusté récemment, ne montrait pas une ride. 

170,25 $ (13670097) 14 %, bio

Photo fournie par la SAQ

Château Le Puy Émilien Francs Côtes de Bordeaux 2015

Château Puy-Landry Castillon Côtes de Bordeaux 2016

Je vous ai déjà recommandé les deux millésimes précédents et je récidive avec le 2016, qui me semble encore meilleur. Ce vin est incontestablement parmi les meilleurs rapports qualité-prix au répertoire de la SAQ. Toujours franc et honnête, sans chichi et très bien fait. Moyennement corsé, très sec, avec un fruit mûr et des tannins modérés. Du bon bordeaux pour tous les jours.

15,85 $ (852129) 13 %, bio

Mullineux Kloof Street Chenin blanc Swartland 2017

Et un blanc tout de même pour finir, de l'autre bout du monde. Le jeune couple Andrea et Chris Mullineux a démarré ses activités en 2007 et s'est très vite hissé parmi les meilleurs producteurs du pays. Kloof Street est sa gamme de vins plus abordables, axés sur la fraîcheur et la buvabilité, et ce blanc dépasse largement les attentes! Un nez fin, sur la pomme jaune, le coing, la pêche, avec une pointe d'épices. Un joli gras en bouche, ce caractère juteux du bon chenin, mais porté par une acidité hyper fraîche, qui apporte aussi de la longueur. Une impression minérale, légèrement saline, ajoute encore plus d'intérêt. Vraiment très bon, et une excellente introduction aux chenins d'Afrique du Sud.

22,45 $ (12889409) 13 %

Photo fournie par la SAQ

Château Puy-Landry Castillon Côtes de Bordeaux 2016