En 2009, lors de la parution de Papilles et Molécules, le collège Lionel-Groulx m'a invité à présenter une conférence autour du principe d'harmonies et de sommellerie moléculaires. Pendant plus de 2 heures 30, 250 cégépiens et professeurs en sciences ont écouté mes propos.

J'ai été stupéfait de l'intérêt pour la cuisine et les vins de ces jeunes élèves en science de 16 à 18 ans! Et j'étais loin de me douter de la suite...

Récemment, leur professeur de chimie, Martin Lamoureux, le même qui m'avait lancé l'invitation en 2009, a pris contact avec moi pour m'inviter à assister aux travaux de fin d'études de ses élèves.

C'est qu'à la suite de ma conférence il y a trois ans, les élèves lui avaient demandé de pousser plus loin l'aventure et d'intégrer à son cours de chimie des notions d'harmonies et de sommellerie moléculaires, tout comme de gastronomie moléculaire. Ce qu'il a fait avec plaisir. Plus de 20 heures du cours de science de cette année ont été consacrées à l'application de la science en gastronomie.

Les cégépiens ont aussi appris des techniques culinaires novatrices héritées des recherches en gastronomie moléculaire, dont les ouvrages scientifiques d'Harold McGee et d'Hervé This sont les pivots. Ils ont découvert la cuisson polaire à l'azote liquide façon Heston Blumenthal, chef du restaurant britannique Fat Duck, et la sphérification et les nouveaux gélifiants (comme la gomme de xanthane) façon Ferran Adrià, du mythique restaurant elBulli.

Je vous rappelle que ce sont des élèves en sciences de la nature, et non en cuisine! Et ils n'ont que 17 ou 18 ans. Leur amour de la chimie ne fait pas de doute. Et celui de la cuisine et des vins non plus.

Le jour de la présentation des travaux, au-delà des techniques novatrices utilisées, l'originalité des plats que j'y ai dégustés m'a stupéfié.

Pour parvenir à ces étonnants résultats, les élèves ont expérimenté pendant quatre semaines différentes techniques et idées de plats, tant dans les heures de cours prévues au programme que dans leurs temps libres à la maison. Après quoi ils devaient préparer le plat choisi.

Une équipe a travaillé sur un pâté chinois de luxe, utilisant une viande cuite dans un bain thermostable afin de ramollir les tissus conjonctifs et de rendre la viande plus tendre. Très réussi. D'autres équipes ont joué la carte des desserts, avec des plats qui avaient pour but de donner l'illusion d'être des plats principaux, le tout à partir de sphérification, de gélifiant, d'espuma ou de jaunes d'oeufs semi-coagulés malléables.

Un autre groupe de cinq élèves, tous des garçons, a mené des recherches et des essais pour créer un plat, puis réaliser une harmonie avec un vin.

Leur projet s'est articulé autour des arômes provoqués par l'élevage en barriques d'un vin rouge, ce qui les a conduits vers un plat de boeuf fortement grillé et des aliments complémentaires à ce dernier, tout comme des aliments et des liquides complémentaires aux parfums de la barrique de chêne.

Ils ont, entre autres, servi avec le boeuf la recette d'émulsion_Mc2 Mister Maillard, une vinaigrette pour amateur de vin rouge que Stéphane Modat et moi avons créée pour La Sélection Chartier 2011. Ce qui leur a permis de comprendre le principe de l'émulsion, grâce à l'ajout de lécithine de soya en poudre.

Pour compléter le tableau «Maillard», la viande et l'émulsion étaient accompagnées de pétoncles fortement poêlés, surmontés de cheveux de noix de coco et de cacao, ainsi que de dattes et de figues infusées dans le scotch single malt. Tous des ingrédients et des liquides partageant le même profil aromatique que les vins élevés en barriques.

Parmi les quelques plats qui m'ont le plus inspiré, la crème glacée au saumon fumé et air d'aneth, le tout servi avec oignons et câpres. Le gène de saveurs de cette entrée classique avait été respecté, ce qui relayait au second plan l'utilisation de techniques novatrices comme l'azote liquide pour la crème glacée. Voilà le chemin culinaire à prendre. La saveur en premier lieu. Et, s'il y a lieu, on cause technique après!

Idem pour le festif «spaghetti de 1 mètre» à la saveur de liqueur Bailey's, sauce vanille et boulettes de mousse au chocolat noir. Vous aurez compris que ce plat était en fait un trompe-l'oeil, comme seul le chef Ferran Adrià en connaît le secret, où le spaghetti à la bolognaise était ici reconstruit sous forme d'un dessert.

Lors d'une journée ultérieure de cuisine, où la deuxième classe de chimie était appelée à présenter ses travaux, certains ont fait intervenir la fluorescence afin d'intégrer la physique à ce projet culinaire. Pour ce faire, ils ont utilisé une lampe à rayons UV afin de mettre en lumière la couleur bleue produite par la quinine ajoutée à certaines créations.

Brownies au caramel fluo; gel aux fruits avec différents étages fluo et non fluo à base d'agar-agar et de gélatine; mojito avec des perles de menthe fluo. Une autre équipe a conçu une boisson bleu-blanc-rouge épaissie avec de la gomme de xanthane. Elle contenait différents étages alcoolisés et non alcoolisés, ainsi que de la vodka cristallisée à l'aide de glace sèche.

D'autres élèves y sont allés, pour le petit-déjeuner, avec un oeuf en deux parties: le blanc cuit au plat, le jaune cuit à 68 °C afin de le rendre malléable. À l'intérieur du jaune était caché du bacon-surprise!

Plusieurs autres projets présentés auraient mérité d'être soulignés tant l'esprit créatif était au rendez-vous. Bravo à toutes et à tous! Vous avez mon admiration. Pour voir d'autres détails et photos des travaux de ces jeunes futurs chimistes (ou cuisiniers!), consultez www.francoischartier.ca