Le 18 septembre, j'ai eu le grand privilège d'une rencontre à table, en primeur, avec Bernard Magrez, de passage à Montréal à l'invitation du Courrier vinicole de la SAQ pour animer deux repas-dégustations, les 19 et 20 septembre, où 300 amateurs ont eu le plaisir de l'entendre et de tremper leurs lèvres dans les crus bordelais portant la signature de ce géant français.

En guise d'ouverture, je me dois ici de vous livrer un petit rappel. En novembre 2005, ayant obtenu l'exclusivité d'une rencontre privée avec Gérard Depardieu, lors de son passage éclair à Montréal, j'ai eu l'honneur de présenter ses vins à la presse québécoise. Vous aviez pu lire dans La Presse, en primeur, une entrevue avec ce monstre sacré du cinéma français, ainsi que mes commentaires sur ses vins.

 

Pourquoi parler ici de Depardieu? C'est que les vins de cet acteur plus grand que nature sont, sauf un, tous élaborés en partenariat avec son grand ami Bernard Magrez. Ensemble, ils possèdent une quarantaine d'hectares de vignes réparties entre la France, l'Espagne, le Maroc et l'Algérie. Du haut de son âge vénérable, M. Magrez, dont la curiosité et l'esprit aiguisés n'ont d'égal que l'immensité de ses hectares de vignes répartis aux quatre coins du monde, me confiait son bonheur de constater, tant en Europe qu'en Asie et en Amérique, combien l'importance de l'harmonie vins et mets a pris une place grandissante chez les consommateurs au fil de la dernière décennie.

Comme il voyage constamment dans les cinq continents, il est très au fait des tendances, aussi bien dans l'assiette que dans le verre. Il a notamment compris, il y a déjà quelques années que l'amateur de vin délaisse doucement les vins de marque, pour se diriger vers les vins signature. Donc, vers les crus reconnus pour le savoir-faire du vigneron qui en est le concepteur, et ce, dans toutes les gammes de prix, allant des vins entre 8$ et 15$ aux grands crus les plus rares et dispendieux. D'où la vente de ces marques pour se concentrer sur des crus à forte origine. Le marché a beau changer à une vitesse folle, Magrez demeure plus que jamais en avance sur son temps.

La signature Magrez à table

Impossible de vous livrer ici une chronique harmonique avec tous les vins des quelque 40 propriétés de cet amoureux du vin. Voici quelques inspirantes pistes harmoniques avec quelques-uns de ses crus, question de circonscrire l'homme par ses vins. Pour commencer, amusons-nous avec les blancs secs bordelais, en créant l'accord avec le carré de porc aux pommes golden et au safran.

Dominé par ces deux ingrédients de liaison qui feront le pont avec le vin, vous servirez ce plat avec le nouveau Château Haut Mouleyre 2005 Bordeaux, Bernard Magrez (25,05$; 10 887 282), qui en étonnera plusieurs par son ampleur, son moelleux et sa grande générosité pour son rang. Puis, grand seigneur blanc bordelais s'il en est un, le remarquable Château Pape Clément «blanc» 2003 Pessac-Léognan, Bernard Magrez (154$; 10 334 493) étonne, dans ce millésime de feu que fut 2003, par sa grande résistance à l'oxygène - dégusté à nouveau, après cinq jours d'ouverture de la bouteille, où il ne restait qu'un verre au fond, ce 2003 n'avait pratiquement pas évolué et ne s'était point oxydé.

Quelle matière! Un blanc, qui ira très loin dans le temps, au nez complexe et richissime, exhalant des notes de noix de coco, de vanille, de fenouil, de menthe, de miel et d'épices douces, à la bouche marquée par une épaisse patine texturée, tout en étant fraîche, au corps généreux et aux saveurs d'une très grande allonge. Son potentiel harmonique à table est tout aussi immense, ouvrant la porte à des mets tels que la terrine de foie gras de canard au torchon, accompagnée de pain au safran, tout comme les pétoncles poêlés, escortés d'une purée de topinambours et d'un sauté de fenouil à l'huile de menthe.

Chez les rouges bordelais, j'ai été littéralement transporté par l'éclat et l'excellent rapport qualité-prix que représente le Château La Tour Carnet 2004 Haut-Médoc, Bernard Magrez (45,75$; 10 334 266) - offert après l'épuisement des stocks du 2003. Vous y dénicherez un 2004 à la robe très colorée et violine à souhait, au nez à la fois concentré et raffiné, riche et élégant, au fruité d'une maturité unique dans ce millésime médocain, au boisé certes présent, mais quasi intégré au coeur du vin, à la bouche presque juteuse mais sans mollesse, plutôt ramassée et enveloppée, aux tannins mûrs et aux saveurs qui ont de l'élan et de l'allonge, laissant des traces de fruits noirs, de café et de violette.

Une finale minérale, aux tannins serrés, signe cette référence à ne pas manquer qui fera fureur sur un carré d'agneau rôti, dont vous aurez pris soin de simplement déglacer la cocotte avec un café noir bien tassé - le café, je vous le rappelle, par sa composition moléculaire, du monde des pyrazines, comme le cabernet sauvignon, a le pouvoir d'assouplir les tannins des jeunes crus du Médoc. J'ai aussi été séduit par l'épaisse enveloppe charnelle du Château Fombrauge 2004 Saint-Émilion Grand Cru, Bernard Magrez (42$; 10 343 630) qui laisse apparaître de riches notes de fumée et de girofle, tout en étant étonnamment pulpeux en bouche pour un 2004. Le vin sur mesure pour interpénétrer avec brio un automnal et tout aussi prenant jarret d'agneau confit, servi avec une poêlée de champignons sauvages.

Enfin, comme je vous ai déjà proposé l'exceptionnel 2005 du Château Pape Clément, dans ma chronique du 20 septembre (voir mes récentes chroniques dans cyberpresse.ca, section Vivre, puis Cuisine), nous resterons ici dans la sphère des 2004, réussis avec un doigté unique par l'équipe de Bernard Magrez. Effectivement, lors de notre rencontre, il fallait voir M. Magrez humer avec un bonheur contagieux son complexe, élancé et raffiné Château Pape Clément 2004 Pessac-Léognan, Bernard Magrez (127$; 10 444 801), réussi avec maestria, et ce, malgré le peu de générosité de Dame Nature dans ce millésime.

De l'éclat, de la fraîcheur, du grain et du plaisir à boire comme pas un, spécialement si vous avez la bonne idée de le servir à vos invités avec un japonisant tataki de thon rouge (idéalement fumé) aux quatre épices. La fraîcheur des tannins de ce vin, tout comme ses parfums de girofle, de cannelle et de fumée, ne fera qu'un avec ce plat d'inspiration nipponne, démontrant le pouvoir de certains bordeaux rouges sur cette cuisine qui, au premier abord, semble la plupart du temps réservée aux vins blancs.