Au Château Palmer à Bordeaux, c'est du jamais vu depuis 20 ans: deux très bons millésimes l'un à la suite de l'autre, c'est rare. Mais si les années 2009 et 2010 ont été encensées par les critiques de vin, ce n'est pas pour les mêmes raisons.

«On produit toujours le millésime du siècle à Bordeaux!» blague le directeur commercial de Château Palmer, Bernard de Laage de Meux.

Selon l'homme d'affaire, le millésime 2009 a été très séducteur par le soyeux et le crémeux de ses tannins. Les vins sont plus évidents à boire. La cuvée 2010, elle, est plus classique. Elle est d'une élégance encore subtile, mais surtout, c'est une année pour les vins de garde.

Les conditions climatiques étaient idéales l'an dernier pour les vignes de cabernet. Le temps a été sec durant l'été et plus frais lors des vendanges. Les cuvées réussies de 2010 ont une acidité parfaite que les 2009 n'ont pas.

Mais selon M. de Laage de Meux, il faudra les laisser en cave un bon moment avant de pouvoir pleinement les apprécier.

Cet avis est partagé par Philippe Desrosiers. Depuis 12 ans, cet avocat de Hull se rend tous les printemps à Bordeaux pour y déguster les vins en primeur. Lors de ce voyage, les vins sont toujours en barrique. Les cuvées ne sont pas prêtes à être bues. Mais leur dégustation permet à l'amateur de se faire une idée du millésime.

«Pour moi, 2010, c'est plus beau que 2009. Plus classique. On a des vrais vins de garde. D'après moi, ce sont des vins que l'on ne pourra pas apprécier avant 10 ans. Ils vont rester fermés très longtemps en bouteille avant de s'exprimer», explique le connaisseur.

L'avis de Robert Parker

L'an dernier, les critiques de vin avaient encensé le millésime 2009.  C'est le cas du gourou américain Robert Parker qui commente les vins de Bordeaux depuis 32 ans. Pour lui, c'était le meilleur millésime de sa carrière. En 2010, les notes du célèbre critique sont encore élogieuses. Il a toutefois accordé moins de scores parfaits.

«Oui, 2010 est un millésime exceptionnel. Par contre, il n'est pas homogène! Il y a des grandes réussites. Et il y a des déceptions », nuance le consultant Stéphane Derenoncourt qui conseille certains vignobles du Bordelais.

Pour cet expert, ce sont les vins de la rive gauche de Bordeaux (Médoc, Haut-Médoc et Graves) qui sont les mieux réussis. L'été 2010 a été particulièrement sec à Bordeaux. Les sols de gravier de la rive gauche ont permis aux racines des vignes de s'approvisionner en eau. Mais ce n'est pas la seule raison du succès de la dernière cuvée, puisque 2009 était aussi une année de sécheresse.

Les vins de Pomerol et de St-Émilion, sur la rive droite, utilisent en majorité le merlot. Et les vieilles vignes de ce cépage ont eu de la difficulté au printemps 2010. Le temps frais a occasionné de la coulure- une perte de fleurs ou de fruits avant et pendant la floraison. Ce qui a diminué les récoltes. Le merlot, toujours selon Stéphane Derenoncourt, résiste moins bien à la chaleur.

Nouvelles recettes

Ce phénomène a obligé certains grands châteaux à accorder une place plus importante au cabernet-sauvignon et au cabernet franc dans les assemblages.

Dans les propriétés de Moueix, établies à Pomerol sur la rive droite, le directeur général Laurent Navarre explique que les assemblages, principalement à base de merlot, n'ont pas changé dans ses vins. Mais les vignes qui reposent sur des sols plus argileux de ce côté de la rive, ont favorisé la croissance de raisins très sucrés depuis les deux dernières années.

Lors de la fermentation, les levures ont changé le sucre en alcool. Ce qui a donné des taux record allant jusqu'à 15% dans quelques vignobles.

La critique de vin britannique Jancis Robinson note aussi sur son blogue que les Bordeaux 2010 sont chargés en alcool. Néanmoins, dû à son taux d'acidité plus élevé, le dernier millésime est selon elle plus équilibré qu'en 2009.

En entrevue, elle confie que les Britanniques, qui préfèrent les millésimes plus classiques comme 2010, sont moins enthousiastes devant une deuxième année d'exception de suite. Ils devront peut-être s'y faire, car les experts en prédisent une troisième avec la récolte 2011.

Elle n'est pas la seule de cet avis. «Je pense que l'on va tous se faire avoir. Si ça continue comme ça, 2011 sera fantastique! Si on se fit à la météo actuelle! » dit Philippe Desrosiers qui acheté beaucoup de Bordeaux 2009 et qui pense faire de même pour les 2010.

L'amateur des vins de cette région croit aussi que le dernier millésime est une très belle année pour les blancs du bordelais. Il a d'ailleurs pour la première fois accordée une note parfaite à un vin blanc, le Château La mission Haut-Brion.